John Coleman était un éminent homme d’affaires, et donc une personnalité occupée. Il se levait le matin, s’assurait que son menton était rasé de près, enfilait un costume gris foncé et, mallette en main, prenait sa Dodge et roulait jusqu’à son travail. Il était situé dans l’un des plus grands buildings de New York City. John avait un poste haut placé, il était directeur l’un des directeurs de la compagnie. D’hochements de tête, il saluait ses employés. Ce ne fut qu’à Emma Hernandez qu’il envoya son plus beau sourire. Traversant la suite de locaux, il pénétra enfin dans son bureau.
John Coleman avait perdu sa femme dans un accident de voiture cinq ans plus tôt. La nuit, il ne pleurait plus sa bien aimée, mais ne c’était pas engagée auprès d’une nouvelle femme depuis. Sauf peut être Emma avec qui il eut une aventure, une fois, lors d’une fête de bureau près de Noel. Un peu naïve, Emma tentait de l’inviter chez elle à nouveau, mais il déclinait poliment à chaque fois. John la trouvait trop candide, trop simple. De plus, il avait jeté son dévolu sur une autre femme, plus mystérieuse dont il ignorait pratiquement toute la vie. Il ne s’en plaignait pas, il ne la fréquentait pas pour ces raisons. D’ailleurs, aucun de ses collègues ne connaissait le nom de Marise. Seuls quelques uns, les plus perspicaces, avaient deviné que, le soir, il ne se retrouvait pas toujours seul.
Marise était une femme élégante. Elle ressemblait à ses businesswomen qu’il lui était donné de côtoyer à son travail, sans leur exubérance et leur aura castratrice. Au début, il n’avait que peu apprécié ses yeux clairs entourés de cils foncés qui lui rappelaient quelques étranges films d’épouvante. Ce fut le discours de la jeune femme qui fit céder John Coleman. Marise était une dame franche et cultivée, qui ne s’arrêtait pas à ce qu’on pouvait lire dans le magazine Working Women. Elle possédait une opinion sur tout : L’éminent bug de l’an 2000, le succès monstre de Back in Black, du groupe AC/DC et même sur les fondements de la Russie socialiste. À côté, il lui semblait que ses collègues féminines ne parlaient que de leurs enfants et de leur lessive.
John Coleman et Marise Corriveau commencèrent à se fréquenter régulièrement. Elle proposait toujours de le voir chez lui, et il aurait été déplacé de s’inviter chez elle. L’homme d’affaires possédait un grand studio avec un balcon qui donnait la vue sur une New York pleine de vie. Les premiers soirs, il voulait l’épater en lui préparant un souper distingué mais se rendit rapidement compte qu’elle cuisinait largement mieux que lui. Superficiellement, ils étaient amis, mais avant tout amants. Il y avait entre eux un respect mutuel constant, et de l’honnêteté. Longtemps, ils ne partagèrent aucun sentiment l’un pour l’autre. John se sentait délivré, il n’avait jamais à se justifier auprès de Marise, lorsqu’il annulait l’une de leur rencontre et jamais elle ne lui demandait plus que ce qu’il offrait. Quand il ne désirait pas la voir, il ne tombait jamais sous une avalanche de questions. Même qu’une fois, il avait annulé une soirée pour aller avec Emma. Son innocence le touchait et, d’une autre part, il connaissait toute sa vie. Elle était si bavarde ! Par la suite, il le regretta, car la jeune employée lui fit bien comprendre qu’il avait des comptes à lui rendre.
Une semaine, deux semaines, trois semaines, Marise fut indisponible. Comme si elle avait craint qu’il lui fasse un interrogatoire, la jeune femme le lui avait annoncé juste avant de le quitter, posant ensuite un baiser sur sa joue. John Coleman répondit par un hochement d’épaules, puis un sourire. Elle n’était pas sienne, seulement qu’une fréquentation. Cependant, il éviterait de retourner voir Emma Hernandez. Marise ne lui manqua pas. Les conversations qu’ils échangeaient, il les eues avec ses amis et pour le reste, il allait prendre la main d’une charmante jeune fille, se montrait plus galant que les garçons de son âge et la ramenait chez lui peu après. Le lendemain il la renvoyait et, selon la fille, elle partait sans rien dire, tandis que d’autres lui jetaient des insultes au visage et claquait la porte.
Ce qui signa son arrêt de mort fut le jour où John remarqua qu’il comparait tout à Marise Corriveau. Marise avait des conversations plus recherchées que ses amis, Marise cuisinait mieux que lui, Marise avait un mouvement de bassin plus délectable que celui de –non, pas Emma- Emily. Il dut bouder une bonne soirée, assit sur son sofa, zappant les chaines à la télé. Il s’enfonça mollement, réalisant qu’il venait de compromettre leur relation qu’ils avaient pris soin de ne pas baser sur les sentiments. Lui avouer ou tout arrêter ? La question ne se posait même pas. John Coleman était un homme, un vrai, c’était de lui que l’on tombait amoureux, pas l’inverse.
Un soir, elle vint annoncer son retour en venant toquer à son studio. John avait prévu la façon dont il mettrait fin à leur relation. Quand il ouvrit la porte, il fut décontenancé par son sourire. Elle portait une robe charmante et tenait dans ses bras un sac de courses en vue de leur souper. Comme le ferait une bonne amie, elle entra d’elle-même et alla poser les provisions dans la cuisine. Dans son dos, l’homme d’affaires la jugeait sévèrement. Marise n’était pas la première femme qu’il renverrait mais, le problème était qu’il n’en avait pas envie. Pendant la majorité de la soirée, il fut inhabituellement silencieux. La jeune femme, à quelques reprises, tenta de lancer une conversation, par politesse, mais abandonna rapidement. Le silence qui plana, laissait place aux coups de fourchettes dans l’assiette, ne fut d’aucune gêne.
Ce qui le dérangea fut qu’il ne connaissait absolument rien sur elle.
« D’où viens-tu ? - Du Canada. - T’es parents y vivent-ils ? - Ils sont décédés. - Je suis désolé… - Ce n’est rien. - Des frères et sœurs ? - Pareils. »
Sa tentative de la connaitre fut un échec et il pensa comprendre pourquoi elle ne parlait jamais d’elle-même. Marise était une femme secrète qui ne s’étendait pas, mais John désirait en savoir plus, puis se retint, de crainte de créer un malaise entre eux deux. Il termina rapidement son dessert. Sous la table, ses pieds tapotaient nerveusement et ses yeux se perdaient dans les reflets de sa coupe de vin. Quand il leva ceux-ci, il remarqua que sa maitresse s’était rapprochée. Oh. Il fut surpris, son cœur manqua un battement. John se doutait du prochain geste de Marise. Celle-ci ne le forcerait pas à parler, elle irait plus loin, vers la raison de ses visites. Sous la table, une main vint glisser sur sa cuisse. Il eut un mouvement de surprise, comme s’il ne s’y attendait pas. Pour ne pas la repousser, il attrapa cette jolie main blanche entre les siennes et se remit à penser à toute vitesse.
« Marise, j’ai réfléchi longuement et je crois que nous ne devrions plus nous voir. - Vous ai-je déplu ? - …Non, non. Non. Il ne s’agit pas de vous, mais de moi. - Ah, je vois. »
Il vit une grande déception passer devant ses yeux bleus. John Coleman ne put résister et, quand elle désira quitter la table il passa un bras autour de sa taille pour la retenir. Il baisa sa main et en voulu autant à Marise qu’elle lui était reconnaissante d’être restée. Les paroles qui vinrent ensuite étaient silencieuses mais pleines de sens.
Maitresse d’abord, elle devint son épouse. Les amis de John furent surpris, car ils n’avaient jamais entendu parler d’elle auparavant. Sa mère, malgré son introduction soudaine dans la famille, l’adora comme sa première bru. Marise Corriveau –devenue Madame Marise Coleman- se fondait parfaitement dans ce train de vie. John laissa cette femme sortie de nulle part vivre avec lui, et partager sa vie. Elle était vaillante, elle cuisinait et faisait le ménage. La jeune épouse ne se plaignait jamais, était toujours heureuse de le voir, lorsqu’il rentrait de son travail. Ses collègues vinrent presque à le jalouser et le taquinait en lui disant que bientôt, le démon surgirait. Bientôt, elle lui avouerait que son vœu le plus cher est d’avoir dix enfants et trois chats.
***
John Coleman perdit malencontreusement la vie. Il fut retrouvé, quelques étages plus bas, dans les escaliers. Sa colonne vertébrale fut fracturée à plusieurs endroits, mais ce qui le tua fut sans doute l’impact de sa tête contre le sol. Sa nuque brisée, même s’il avait été encore vivant au moment de l’accident, il n’aurait pu quémander de l’aide. Marise Coleman fondit en larme en apprenant la nouvelle. L’eau salée ruisselait sur son visage, certaines gouttes venaient se perdre dans ses longs cheveux noirs. La vue de son cher et tendre époux la bouleversant tant qu’elle du s’asseoir. Un policier lui apporta un verre d’eau et tenta de lui poser des questions, mais la veuve était inconsolable. Ses hoquets empêchaient ses paroles d’être compréhensibles, ses yeux enflés ne lui permettaient pas de lire les papiers qu’on lui tendait. Le corps meurtri de John Coleman fut emporté et, s’assurant que Marise ait accès à toute l’aide dont elle aurait besoin, elle fut laissée seule dans le grand studio. Les policiers avaient voulu appeler un membre de la famille ou un ami, mais elle n’en possédait pas.
Déjà, dans la soirée, la Corriveau cherchait le précieux testament de son défunt époux. Il était toujours bon de savoir jusqu’à quel point l’on avait compté dans la vie de quelqu’un. Elle n’eut pas à chercher longtemps, son bureau ne comportait aucun secret et John, jamais, n’avait craint sa femme. Marise le lit rapidement, esquissa un maigre sourire en voyant que, comme elle l’avait imaginé, elle possédait dorénavant un héritage. L’innocence des mundanes était presque adorable, sauf lorsqu’ils l’utilisaient pour l’enfermer dans une cage, bien sûr.
La Fable se changea et, pour la forme, porta une robe noire. Elle quitta prestement le studio et roula jusque sur Bullfinch Street. Marise résidait aux Woodlands. Entre deux mariages, elle mettait ses dons de sorcellerie au service de Fabletown. Au treizième étage, même partiellement, une nouvelle aide n’était pas de refus. Lorsqu’elle pénétra dans le bâtiment, ses pas la portèrent jusqu’aux ascenseurs. Flycatcher, fidèle au poste, récurait le sol machinalement. Elle le gratifia d’un sourire aimable et il détourna le regard. Sa tenue noire le laissait amplement deviné que, encore, un homme venait de mourir.
Marise profita de l’attente pour s’assurer que son chignon était bien coiffé. Elle glissa ses mains sur sa taille le long de ses hanches pour aplatir les plis de sa robe de viduité. La sorcière ne se demandait jamais si la mort de ses maris l’affectait. La première fois, elle en fut choquée, au point de s’évanouir. La seconde fois, elle eut à peine le temps de souffler qu’on l’enfermait et l’enchainait dans une cage. À cette pensée, elle pinça les lèvres.
En quittant l’ascenseur, elle fit de grandes enjambées pour rejoindre le bureau de Snow White. Elle croisa, sur sa route, le shérif qu’elle contourna habilement d’un mouvement d’épaule. Marise ne possédait aucune compassion pour les autres vilains de Fabletown ayant signé l’Armistice. Dans les royaumes, tous avaient commis des atrocités. Certains plein que d’autres. Bigby Wolf plus que les autres, à ce qu’il paraissait.
Devant la porte du bureau se trouvait une, deux personnes qui faisaient la file pour consulter l’Adjointe. Deux petits fables sans doute venus pour se plaindre et qu’un seul regard de la part de la Corriveau suffit à les faire s’écarter. Elle croisa les bras et patienta, entrant aussitôt qu’elle le put.
Snow White était courte sur pattes et nerveuses, mais elle gérait cette ville mieux que quiconque, Marise devait l’avouer. La sorcière venait toujours pour la même raison, ainsi se s’attardèrent-elles pas sur trop de bienséance et de politesse.
« Miss White, je crois être en mesure d’investir une somme considérable pour Fabletown. Auriez-vous des nouvelles du bien que je convoite ? »
Un large sourire malsain s’étira sur les lèvres rouges de l’éternelle veuve.
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