La pluie était tiède, heureusement.  Sneguroshka laissait celle-ci couler sur ses bras nus, collant à son visage ses longs cheveux clairs.  Alors qu’elle marchait dans la rue, une dame s’arrêta, s’indignant devant la tenue de la petite fille.  Snegurka leva ses grands yeux vers elle, retroussa sa lèvre inférieure comme si elle était triste.  Elle ne l’était pas.  La gentille personne posa sur les épaules de l’enfant son manteau, pour réchauffer sa peau blême.  La fillette, vile, toussa pour imiter les effets d’un rhume.  De plus en plus, la dame s’agita, se demandant qui Diable abandonnerait une gamine de la sorte !

Sneguroshka mentit, dit à la dame qu’elle avait perdue son argent pour prendre le bus et retourner chez sa maman.  C’est ainsi que l’enfant gagna honnêtement un peu de monnaie.  Honnêtement !  Elle ne l’avait pas volée, après tout.  La petite, sous le regard bienveillant de la dame, entra dans le bus et débarqua, plus loin…. Au Trip Trap Bar.  

Holly, évidemment, ne fut pas très heureuse de la voir.  Mais, mais !  Pourquoi !  Elle serait une bonne cliente, si elle daignait lui offrir l’alcool qu’elle désire.  Et ce n’était pas de sa faute si elle était coincée à un âge enfantin.  Elle était vieille, elle était mature et elle avait vu beaucoup trop de chose pour être considérée comme une simple enfant !  Pourquoi Holly lui refusait encore son verre d’hydromel ?  

Le Grand Méchant Loup s’en mêla.  

« Et toi, les poils, ça va ? »

Elle stoppa ses pas.  Sneguroshka fronça les sourcils, peu contente à l’idée que le shérif soit là.  Elle n’obtiendrait jamais son alcool, s’il restait planter dans le coin du bar !  Saleté de Bigby.  

« Je ne l’ai pas volé, si c’est ce que tu veux savoir.  Oh… Mais fais pas cette tête-là Holly ! »

Sneguroshka trottina jusqu’au comptoir.  Pas de moquerie !  Sa tête dépassait largement de celui-ci.  Elle se tira un tabouret et se hissa dessus, posant ses billets devant la barmaid, espérant vraiment qu’elle lui serve son alcool.  Ses cheveux, sa robe, son nouveau manteau, elle, dégoutaient sur le sol, laissant une trainée d’eau.  

« Bigby, dis-lui !  Je sais boire, je le fais de manière responsable et j’ai de l’argent pour payer ! »

Elle tentait de se défendre, gigotant sur son tabouret.  

À sa mention, Sneguroshka retira le manteau. Il réchauffait ses épaules et devenait inconfortable. Dans un geste modéré, presque délicat, elle le posa sur le comptoir. Elle ne comptait pas repartir avec. À quoi ça lui servirait, un manteau, franchement ? À faire une fondue sur mesure, peut être ? Quant à sa « bonne blague », elle ne souleva pas. Bigby ne pouvait pas comprendre, lui il avait eu la chance d’avoir un corps d’adulte. Et pas que ! Son corps d’adulte était fort, capable de travailler et fortement intimidant. La fille des neiges, elle, portait une taille délicate et fragile, qui manquait cruellement de crédibilité au moment de faire peur et qui l’empêchait d’avancer dans la vie.

L’enfant leva les yeux au ciel. Il aimait ça, hein ?

« Ma foi, Bigby, il y avait du clown dans la dernière chèvre que t’as bouffé ou quoi ? »

Loup un jour, loup toujours ! Snegurka étira ses bras vers Holly, montrant sa belle petite monnaie. Il y avait largement plus que nécessaire pour se payer de l’alcool, une offre qui devrait satisfaire n’importe qui ! Si elle faisait un mètre quatre-vingt-dix comme le shérif, peut-être ferait-elle plus crédible et aurait le droit à son hydromel ! Comme c’était frustrant.

« Mets la bouteille dans un sac, je vais la boire une fois chez moi ! Mets-toi à ma place, Holly ! Ça fait quatre cents ans que je bois du lait ! »

Elle écarta les bras, comme si cet argument devait être suffisant. En terres slaves, on n’était pas aussi strict. Enfin, si, presque. Sneguroshka se contentait de dire qu’elle prenait la bouteille pour ses parents et allait la vider dans la ruelle d’à côté. La jeune fille de neige porta ses mains blêmes à son visage, réfléchissant à un moyen d’obtenir son hydromel. Sa lèvre supérieure se retroussa. La petite était contrariée. Oui, ce n’était qu’une enfant, oui ça allait barder si un Mundane entrait mais...

« Si j’avais quatre ans de plus et les arguments de Snow Whiiite, j’suis sûre que tu me le laisserais, cet alcool. » Dit-elle a l’intention du loup solitaire.

Elle ne pouvait pas être la seule à avoir remarqué le balcon peuplé de la boss, si ?

Si seulement le shérif savait à quel point ces mundanes étaient heureux de donner leur argent à une petite fille ! Gigotant sur le tabouret devant le bar, Sneguroshka croisa les bras, continuant de supplier Holly. Mais rien à faire, la barmaid était implacable. Les humains, possessifs et radins, auraient tôt fait d’accepter cette énorme somme pour un tout petit verre. Après tout, que pouvait bien faire une petite fille saoule mis à part vomir sur ses jouets ?

L’enfant se retourna sur le tabouret, croisa ses jambes. Bigby était un odieux personnage. Mais bon, elle aussi, alors ce n’était pas un problème. Deux fables détestables, l’un mal léché et l’autre trop adorable. Sneguroshka étira un sourire en coin.

« Un balcon pareil, je ne considère pas cela comme dégradant mais plutôt comme de la chance, Wolf. »

Mais ce n’était pas ainsi que l’on se jouait du Grand Méchant Loup. L’enfant de neige prit son verre de lait, y gouta et s’approcha de l’homme. Elle avait l’air innocente, mais dans ses yeux froids il y avait de la malice. Trop de malice pour que tout ce passe bien. Elle posa son verre près du Whisky, une main froide sur son épaule. Sneguroshka se remit à parler, agitant les mains pour ponctuer ses phrases ou parce qu’un mauvais tic l’avait prise. Dans un sens, elle s’assurait que les yeux du loup regardaient là où elle le désirait. Il n’avait pas besoin d’étendre son attention ailleurs.

« Je n’essaie pas de t’embêter ou de te causer des problèmes, à toi ou à Holly. Que vous ayez des soucis me ferait de la peine, nous venons tous du même monde, après tout ! Je ne désirais pas non plus t’insulter en parlant de Snow White mais… regarde-moi ! Je suis haute comme trois pommes, je vois que ça ! ….Bref, ce n’est pas l’important. Je comprends que tu ne veuilles pas que je boive, au fond, tu ne fais que ton boulot et c’est bien que tu le fasses. Ça prend quelqu’un comme toi pour botter le cul des malfrats ! »

Le pire était qu'elle pensais vraiment ce qu'elle disait.

Un bras appuyé dans son dos, elle s’étira le cou et plaqua un baiser sur la joue du très très grand méchant loup. Ni d’une ni de deux, elle tourna les talons, de la monnaie dans une poche de sa robe, un paquet de Huff’n’Puff dans l’autre. Elle quitta le bar en faisant un grand signe de main à Holly, lui disant qu’elles allaient bientôt se revoir !

Hinhinhin.

Elle marchait, là, comme si de rien était, avec son air innocent de petite fille et sa robe dont les volants virevoltaient au rythme de sa marche énergique. Sneguroshka se doutait que, dans très peu de temps, le Grand Loup surgirait derrière elle, réclamant son paquet de Huff’n’Puff. Si la petite était fan d’alcool, les fumées et autres substances roulées dans un papier ne faisait pas son bonheur. Évidemment, elle avait essayé, elle avait tout essayé ; cigarettes, cigares… et autres, mais cela ne lui plaisait pas et, surtout, ça n’allait pas avec sa nature enneigée. La fumée, chaude, altérait l’intérieur de son corps fragile alors que l’extérieur demeurait intact.

Petite et chétive, pouvant facilement être mise en boule de neige par le shérif, Sneguroshka pourtant ne cillait pas. Elle continua sa marche, comme inconsciente du danger. Danger ? Bigby Wolf ne s’attaquait plus aux petites filles depuis bien longtemps. Très longtemps.

« Je pense ce que je t’ai dit, Bigby. »

Elle lui envoya un regard en coin avec un petit sourire, plus mature qu’infantile. Néanmoins, elle continuait son chemin, ne faisant pas un mouvement pour lui rendre son paquet de cigarettes. Sneguroshka se mit à trottiner, passant agilement entre les mundanes, se glissant parmi eux comme si elle n’était qu’un fantôme. Pour voir s’il la suivait toujours, elle se tourna vers le Shérif et étira un sourire. Dans sa main, un bipeur. Ni d’une ni de deux elle le désactiva et le fourra aussitôt dans sa poche, puis fit face à la route.

Tout d’un coup, elle s’arrêta, nez levé vers la vitrine d’une boutique mundanes. Sneguroshka bondit vers Bigby, attrapa son gros bras et le tira avec elle, toute enjouée.

« Viens, viens avec moi ! »

Sans qu’il ne sache trop pourquoi ni comment, le bon vieux Big Bad Wolf se retrouva entouré de robes. Il y en avait des jolies et des moins belles, mais surtout de jolies. La fillette de neige, excitée, fit le tour des présentoirs, toucha des tissus, observa des paillettes. Parfois, elle sortait, sur son support, une robe qu’elle tendait à Bigby pour qu’il la regarde puis la replaçait ensuite.

Jusqu’à ce qu’elle tombe sur la robe. Celle qu’elle porterait au bal du Souvenir.

« Oooh ! Papa, papa ! Regarde comme elle est belle ! Est-ce qu’on peut la prendre ? S’il-te-plait, s’il-te-plait, s’il-te-plaiiit ! »

Elle vint passer ses petits bras blancs autour du corps du grand loup, se serrant contre lui, ses grands yeux bleus suppliants fixés dans les siens. Aux côtés, la vendeuse avait esquissé un petit sourire attendri. Patiente, elle ne brusquait pas ses clients. Sneguroshka, dix ans, venait de poser son menton sur le torse du grand méchant loup, lèvre inférieure retroussée. Plus bas, elle marmonna, de sa voix la plus cristalline :

« Je ferais n'importe quoi pour cette robe, papa ! »

Une princesse. Sneguroshka était une vraie princesse. Elle sautilla sur place et répondit, pleine d’entrain, à la vendeuse : « Maman a dit qu’il fallait prendre la plus belle robe pour moi ! » Et de nos jours, c’était la femme qui portait les pantalons, dans le couple, pas le papa ! Puis, innocente, elle vint serrer ses bras autour de la grande stature de Bigby Wolf.

Ce n’était que lorsque l’on avait peur qu’on devenait une proie, non ?

Son visage se tordit en une moue triste. Elle, pas suffisamment sage ? Ridicule ! Sneguroshka était, dans son rôle si bien joué, la petite fille la plus gentille et adorable que la Terre ait jamais porté. Ses petites mains se resserrèrent sur la chemise du shérif. Les vendeuses étaient de son côté, et heureusement ! La fille de neige reprit son attitude gaie pleine et pleine de joie, tenant fermement sa robe dans sa petite main blanche.

« Bonne idée, papa ! »

Posant ses doigts glacés sur son épaule, elle se leva sur la pointe des pieds et embrassa la joue du grand méchant loup. Ouhhh, qu’est-ce qu’il était effrayant, d’ailleurs, l’ancien dévoreur d’enfants ! Sneguroshka se recula et, au passage, parce que Bigby n’était pas allé tout à fait dans son sens, elle attrapa une robe rosée. Puis une blanche, pour aller avec son teint de neige. Ensuite, pourquoi pas, une rouge ! Le contraste, violent, créerait un effet agressant. Comme sa petite voix.

Fuyant vers une cabine d’essayage, elle ressortit tout d’abord avec la robe qu’elle aimait le moins. La jeune fille trottina jusqu’à son père adoré, pied nu sur le bois de la boutique. La robe blanche était sage, pure, rien de fâcheux rien d’extravagant. Elle fit un tour sur elle-même et, lorsque les vendeuses ne regardèrent plus, tendit deux cigarettes au loup.

« Celle-là est jolie, on dirait que je suis une ballerine ! Mais… elle est plutôt ordinaire… »

Aussitôt, elle retourna se cacher dans sa cabine et répéta le même manège pour les autres robes. « Regarde la dentelle sur celle-ci, magnifique ! Mais on dirait une robe de dame. » ou encore « Je ressemble à un petit chaperon rouge ! Il ne faudrait pas que je me fasse dévorer ! » Oui, celle-là, était gratuite. Évidemment, elle n’oubliait pas d’offrir à son patient père une cigarette pour le remercier de sa patience.

Finalement, elle ressortit de la cabine avec sa première robe. Bleue et blanche, dont le buste était serti de pierre du Rhin. Sneguroshka s’arrêta devant le miroir et agrandit les yeux. « C’est celle-là que je veux, papa ! » Ainsi, elle ressemblait à une toute petite Reine des Neiges !

Aussitôt, sachant que Bigby n’était pas le plus facile à convaincre, elle revint se coller contre lui, comme le ferait la fille chérie de son père. « Je suis certaine que maman trouverait que c’est un bon choix ! » Insista-t-elle. Et Dieu savait que les mundanes n’étaient pas du genre à voir d’un bon œil un méchant papa qui désobéissait à sa femme !

« Je serai super super super super super sage si tu m’achètes celle-là, papa ! » Ou, dans un langage de vieux fable à petit fable « Promis, je fais pas de connerie pendant un temps. »

« Merci beaucoup, madame !  Vous êtes très gentilles ! »

Sneguroshka, heureuse de son achat –enfin, celui de Bigby, attrapa vivement le sac très chic dans lequel la robe avait été pliée et sortie de la boutique.  Elle prit une grande inspiration, les nuages dans le ciel créaient une barrière de fraicheur lui permettant de profiter de la journée.  Elle était contente, ce qui n’était pas le cas de Bigby Wolf qui semblait sur le point d’imploser à tous moment.  Avec ses grands yeux cristallins, l’enfant de neige regarda le loup comme si elle ne se doutait de rien, comme si elle ignorait qu’il n’était pas très joyeux, là, tout de suite.  Sneguroshka enfonça sa main dans sa poche et en sortit un porte-monnaie.  Un billet, deux billets, trois billets, quatre billets…  La fillette arrondit au plus haut et glissa l’argent dans la poche du pantalon du shérif.  La petite voleuse, souvent profiteuse, avait tout de même un peu de savoir vivre et Bigby avait suffisamment la vie dure, elle n’allait pas lui en rajouter une couche.  Ou du moins, pas une couche trop épaisse.  

« C’est la septième fois que tu me dis cela depuis que je suis arrivée, j’attends toujours. »

Mis à part si le grand méchant loup sautait à la gorge de la Reine des Neiges ou de Misha, elle considérait n’avoir rien à craindre.  Faites de neige, elle était plus invulnérable que la moyenne des Fables.  Et, heureusement pour elle, Bigby ne donnait plus dans la violence et le meurtre de petites filles.  

« Lorsque tu me puniras, fais-le comme le Grand Méchant Loup, d’accord ?  Pas comme le chien que ces hypocrites ont dressé. »

Elle offrit à Bigby Wolf son plus grand sourire et, sournoisement, énergiquement, elle s’approcha de lui pour poser sur sa mâchoire une doux baiser.  Dans un tour de chaussure, un pas de danse improvisé, elle tourna les talons et prit la direction de Fabletown, agitant sa main libre dans les airs en guise de salut au shérif.  

« Spassiba, dasvidania, Bol'shoy Plokhoy Volk !* »

Spoiler: