Nick posa son verre de café sur la table avant de se craquer les doigts. Il disposa ses lunettes sur la table dans la position convenue et s'essuya longuement les yeux. Puis, il bailla et fit une moue, comme pour dire : "Grosse journée".
Cecil, ne tarda pas à le rejoindre, s'asseyant en face de lui, au fond du restaurant. Il expira un grand coup, et se mit à épier son père, cherchant son regard.
- Grosse journée, finit par dire le premier.
L'autre acquiesça sans rien dire, seul un son bref sortit de sa bouche. Il sentait la fatigue trôner dans l'air. Quelques secondes passèrent encore.
- Ouais, y a eu du monde, mais y a pas eu de grosses commandes non plus, papa.
- Ca rapporte quand même plutôt bien, jsuis content.
Il passa sa main sur sa bouche et déglutit pour marquer une pause.
- On commence les livraisons la semaine prochaine, j'ai pu en embaucher deux qui feraient l'affaire. Y a une fille et un gars.
- Ah cool, c'est nickel ça.
Le fils fit oui de la tête, de nouveau, plus vivement cette fois. Il semblait sentir que la routine allait être bousculée avec l'arrivée de deux nouveaux dans l'industrie familiale.
Le père, quant à lui, eut une petite bouffée de rire alors qu'il dépliait ses lunettes pour les replacer sur son nez.
- En fait on peut s'estimer heureux, c'est les deux seuls qui sont venus. Et heureusement ça a l'air de le faire pour chacun d'eux. Ils ont l'air sages et ils savent faire ce qu'on veut qu'ils fassent. Elle va être de service au début de la semaine et lui pour la fin.
Au fur et à mesure de leur conversation, le père prenait des gorgées de café qu'il savourait en bouche, le regard perdu, comme observant la rue à travers les vitres. Parfois ses yeux s'arrêtaient sur Cecil.
- Tu as commencé à faire de la pub ? Demanda son fils.
- Nan mais je compte sur toi, on va essayer de faire ça à la fin de la semaine.
- Ouais, genre on commence demain quoi.
- Exactement, sourit le père.
*
* *
- Ah !
Cecil sourit alors qu'il entend le téléphone sonner. Il s'approche et décroche le combiné.
- Shiyu Restaurant bonjour ? Oui ?
Des voix inaudibles lui parviennent alors qu'il s'empare de son petit carnet caché dans sa poche.
- Très bien.
Il coince la machine entre son cou et son épaule, sort son stylo et gribouille sur un feuillet, à la manière d'un médecin, en donnant un violent coup de coude à chaque retour à la ligne.
- Très bien, il répète. Où habt- Où habitez-vous ? Et à quel nom ?
Cecil continue d'écrire brutalement de sa main gauche, avant de gifler l'air en signe de fin.
- Très bien ! Les nouilles arriverooont... Daaans... Je dirais, trois quarts d'heures. A bientôt !
Il range tout son attirail, jure pour condamner ses quelques défauts de locution et se dirige vers la porte qui mène au restaurant, devant laquelle lit le livreur du jour.
- C'est bon Paul, t'as ta première commande ! Va préparer la moto, on s'occupe des plats.
- Mah ! Répond ce dernier avec un air satisfait.
Il se lève tranquillement, met son livre dans sa sacoche neutre et traverse le restaurant, pour rejoindre sa moto. Il constate alors qu'elle n'a pas besoin d'être revue puisqu'il en a déjà fait le tour plusieurs fois au début de l'après-midi, en raison du nombre de commandes nul. Le garçon se refuse à lire la suite du livre - il venait de repasser les dernières lignes plusieurs fois, elles lui paraissaient des motifs vides de sens, et il avait du mal à se plonger dans l'histoire - il glisse les mains dans ses poches et décide de faire simplement les cent pas dans la rue. Alors que l'ennui prend petit à petit possession de lui, Paul s'évade.
*
* *
- Je sais pas quoi penser...
Tiffany agite la tête comme si elle venait d'avaler un aliment aux relents désagréables.
- Non vraiment j'en ai marre. Je sais pas ce qu'il veut, ce qu'il pense, si il est intéressé ou pas... Lundi soir c'était vraiment génial, il m'a même dit qu'il adorait passer du temps avec moi, mais là, putain ! Hier il faisait la gueule, je sais pas... Je pensais que je lui apportais de la joie mais finalement ça en tient qu'à lui... Et du coup je sais pas ce qu'il pense de moi vraiment, tu vois ?
Rebecca prend une grande bouffée d'air, regardant le ciel, et se replace sur le muret qui entoure la fontaine.
- Ecoute faut que t'arrêtes de penser à lui, de parler qu'en fonction de lui, tu deviens dépendante, un peu comme la drogue tu vois. Nan sérieux c'est mauvais pour toi, pour qu'il t'aime faut que tu sois naturelle et que tu te poses pas de questions.
- Mais c'est trop dur !
Son amie élève la voix et se ravise face aux passants qui se promènent sur la place.
- Il est tellement intéressant ! Il a toujours quelque chose de trop cool à dire ! Je sais pas comment il fait, il est juste génial ! Et moi à côté... J'me disais qu'il pouvait s'intéresser à moi, je sais pas, c'est... Sa façon de se comporter avec moi ! Et puis il est tellement beau. Je t'ai montré la photo qu'on a prise hier au bar ?
- Nan. Vas-y, montre.
Tiffany se retourne pour fouiller dans son sac, mais se stoppe net.
- REBECCA ! Il est où mon sac !
- Hein ?
- Putain Rebecca, on m'a volé mon sac ! Merde !
Rebecca se lève en agitant les mains et tourne sur elle même, à la recherche de l'objet volé. La victime, quand à elle, n'hésite pas et se précipite en percutant la foule, et répétant sans arrêt :
- On m'a volé mon sac ! Vous avez vu quelqu'un s'enfuir avec mon sac ? S'il vous plaît ! Est-ce que vous avez vu mon sac !
Alors que sa voix sanglote et que ses yeux s'embuent, un passant vient la trouver :
- Madame ! Madame ! Si j'ai bien vu, il est là-bas, il s'est arrêté au stand ; Je pense qu'il veut pas avoir l'air suspect.
La jeune femme déglutit, le remercie et se dirige posément vers l'endroit indiqué ; Un stand de friandises devant lequel un vieil homme se tenait immobile, tourné vers les bonbons. Elle se place près de lui et se penche pour observer ses mains. Elle passe sa main derrière son oreille pour remettre une mèche en place, et écarquille les yeux en reconnaissant son sac de cuir rouge.
Elle se redresse et inspire longuement.
- Je vais prendre des réglisses, Elsa.
Le voleur reste confiant. Tiffany s'en inspire. Elle ne sait pas comment s'y prendre, mais elle va récupérer son sac.
- TIFFANY ! T'as retrouvé ton sac ?
Rebecca est en train de courir vers elle en agitant les bras. La concernée grimace et l'homme se retourne. Tiffany ne perd pas de temps et se lance sur celui-ci pour lui retirer son sac ; Après quelques luttes de la part du prédateur devenu proie, la jeune fille se rejette en arrière et court maladroitement tandis que l'homme crie :
- AU VOLEUR ! ELLE M'A VOLE MON SAC !
- William ! T'as encore volé vieux con, je savais que t'avais pas changé ! Lui répond allègrement la marchande.
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* *
- Paul ! Tiens, voilà le paquet. Rendez-vous aux Woodlands, au 204, au nom d'un certain Colin. Bonne chance.
Paul se saisit des emballages et les dispose à l'arrière de sa moto. Il fait vrombir le moteur et s'élance tout en repensant aux événements de ces dernières minutes. Il sourit ; C'est une bonne action qu'il a faite en aidant cette jeune femme.