→ Fidèle à son conte d'origine, il sait changer la paille en or en la filant comme de la laine. Malheureusement, tout cela paraît trop beau pour être vrai : Ses pouvoirs ont été affaiblis, et il lui faut maintenant des heures pour ne produire que quelques pépites.

→ A l'instar du conte où il apparaît à la jeune paysanne dans le grenier, il pouvait apparaître et disparaître à volonté. Ses pouvoirs étant maintenant moins puissant, il n'est jamais sûr de l'endroit où il va atterrir lorsqu'il disparaît.

→ Enfin, Rumpelstiltskin tire son pouvoir de son nom : Il ne l'a jamais révélé à qui que ce soit, car quiconque connaît son nom est capable d'en faire ce qu'il veut.

Un vieux livre de contes au papier jaunit et à la reliure de cuir élimée claqua d'un coup sec en se refermant. Sur la tranche, on pouvait lire le titre « Les contes des frères Grimm », dont les lettres dorées commençaient à s'effacer.
L'épais volume reposait à présent sur le torse mince, presque maigre, d'un homme d'une trentaine d'années. Du moins semblait-il ne pas dépasser cet âge. Ses longs doigts pâles et osseux tenaient fermement le recueil de contes, tandis que ses yeux d'un bleu vert hypnotisant fixaient le plafond.
Brisant le silence, il poussa un profond soupir. Il s'ennuyait. Allongé sur le comptoir de ce qui semblait être une boutique d'antiquités où s'amoncelait une quantité incroyable d'objets et reliques, Roman Rosenwald venait de relire pour la mille et unième fois le même conte: Le nain Tracassin. Il avait toujours trouvé ce nom amusant, et beaucoup moins pompeux que Rumpelstiltskin. A vos souhaits, vous dîtes? Que nenni, vous dirais-je. Car il s'agit de sa véritable identité. Il s'était depuis longtemps baptisé avec un nom humain, pour ne pas avoir à révéler son véritable nom. Nom qu'il était le seul à connaître, d'ailleurs. Vous seriez en droit de vous demander pourquoi un tel mystère autour d'un simple nom, mais les choses sont plus compliquées.

Pour cela, intéressons-nous à ce conte qu'il lisait tantôt. On raconte que jadis, un pauvre meunier un peu vantard aurait dit au roi d'un lointain pays que sa ravissante fille était capable de changer la paille en or en la filant comme de la laine. Cupide, le roi y aurait vu l'occasion de s'enrichir, et aurait ordonné au meunier de lui amener sa fille pour la mettre à l'épreuve.
Ainsi, la pauvre jeune fille se retrouva enfermée dans un grenier remplit de paille, où le roi lui ordonna d'en faire de l'or si elle ne voulait pas mourir le lendemain. Désespérée, elle fondit en larmes, et c'est alors qu'un curieux petit personnage se présenta à elle. Un lutin, qui lui demanda ce qu'elle était prête à lui donner s'il filait toute la paille. Le premier jour elle lui donna son collier, et il fila la paille toute la nuit, jusqu'à ce qu'il n'y ait plus qu'un tas d'or rutilant. Le second jour, elle lui donna sa bague, et le lutin fila la paille. Mais quand le troisième jour arriva et que le roi en demanda plus, elle n'avait plus rien à donner au lutin. Il lui demanda alors de promettre de lui donner son premier enfant. Désespérée, la demoiselle accepta, et le lutin fila l'or.
Impressionné, le roi épousa la fille du meunier, et pendant un an elle n'entendit plus parler du lutin, jusqu'à ce qu'elle mette au monde son premier enfant. Alors il revint la voir pour réclamer son dû. Voyant que la reine refusait de lui céder son unique enfant, le lutin fut pris de pitié et lui laissa trois jours pour trouver son nom. Bien des noms défilèrent pendant les deux premiers jours, et le lutin se voyait déjà remporter son butin, lorsque la jeune reine lui demanda s'il ne s'appelait pas Rumpelstiltskin. Fou de rage, le lutin frappa le sol de son pied et disparut pour toujours.

Vous connaissez maintenant cette curieuse fable du nain Tracassin, comme on l'appelle chez nous. Seulement vous ne connaissez que la version mundane enjolivée pour ne pas effrayer les enfants. La réalité est toute autre. Le lutin fila la laine, mais lorsqu'il vint récupérer l'enfant, la reine ne fut pas en mesure de lui donner son nom, et le lutin emmena avec lui l'unique héritier du trône.
On raconte que la reine en devint folle, tandis que le roi perdit ses richesses à traverser le pays à la recherche de son fils. Ce garçon, c'est le lutin qui l'éleva, comme son propre fils.

Soupirant à nouveau, Rumpelstiltskin se redressa sur le comptoir, ses courtes jambes atteignant à peine le sol. Il n'avait aucun lien de sang avec cet enfant, mais il l'avait élevé, et il lui manquait. A l'arrivée de l'adversaire, il s'était cru caché et en sécurité, mais la curiosité de l'enfant l'avait poussé à sortir de leur cachette, et alors il avait été emporté. Depuis son arrivée à Fableville, Rumpelstiltskin n'avait eu de cesse de chercher son fils, mais il s'était finalement rendu à l'évidence: Il n'était pas ici. Alors il s'était adonné à son activité préférée avec un zèle presque maniaque : Faire tourner le monde en bourrique et jouer des tours à son entourage. Il avait construit une fortune respectable dans la vente de renseignements et autres informations, et s'intéressait depuis peu au recel d'objets magiques ou de reliques.
Il avait contacté le Crooked man, ou plutôt avait été contraint de faire affaire avec lui, et cet épisode de son existence entachait sérieusement son CV, même s'il s'efforçait de ne rien laisser paraître.

Il était maintenant prêteur sur gages, et prenait toujours un malin plaisir à arnaquer odieusement ses clients. A ceci près qu'il savait protéger ses arrières. Dès qu'il voyait poindre à l'horizon les oreilles touffues du shérif, il enfilait son plus beau costume de commercial et faisait mine de ne rien savoir.
Et surtout, il faisait tout son possible pour ne pas révéler qui il était vraiment : Il n'avait plus du lutin que le caractère, car même s'il restait assez petit et chétif pour un adulte, il n'était plus haut comme trois pommes avec des oreilles pointues et un long nez crochu.
D'ailleurs, il se faisait depuis longtemps passer pour un simple personnage de second plan au sein du monde des contes pour ne pas trop attirer les gens soupçonneux.

La sonnette de la boutique teinta, et le lutin sauta du comptoir pour aller accueillir son client chaleureusement. Encore un qui ressortirait les poches vides et la mine morose...