Le ciel était nuageux.  

Sneguroshka pleurait à chaudes larmes en sillonnant les allées de Central Park.  Les New Yorkais n’étaient pas tous très généreux, indifférents aux sanglots d’une toute petite fille.  Mais où allait le monde ?  Heureusement, une âme charitable s’arrêta près d’elle, lui demandant pourquoi elle pleurait.  L’enfant, ayant eu laaargement le temps de s’entrainer, fit renifler son nez retroussé et essuya ses yeux avec le revers de ses mains avant de répondre.  Elle avait perdu ses parents.  Elle perdait toujours ses parents !  La gentille personne lui prit la main et s’engagea à trouver Monsieur et Madame qui accompagnait Sneguroshka.  Devant tant de bienveillance, la petite fondit dans ses bras et, sans que celle-ci ne s’en aperçoive, glissa une petite main dans son sac pour en extirper le portefeuille.  C’en était presque trop facile.  

Avant que l’âme charitable ne remarque quoi que ce soit, Sneguroshka la quitta, courant rapidement du haut de ses courtes jambes.  Elle sema la personne, surprise de voir la petite s’enfuir de la sorte.  Ses yeux, secs, n’alertèrent plus de passant et aucun New Yorkais n’avait le temps de s’arrêter pour s’occuper d’une gamine qui ne semblait manquer de rien.  

Misha Volkov, là-bas, assis sur un banc.  Il lisait –Dieu, il lisait toujours !- et, lui non plus, ne se souciait pas du new yorkais lambda qui défilait dans Central Park.  Tenant fermement son du malhonnêtement gagné, elle trottina jusqu’à lui.  Non, en réalité, elle se faufila silencieusement derrière le banc qu’il occupait et, d’un coup, bondit pour lui attraper l’épaule :

« Ah ! » Dit-elle, un ton plus haut, pour le faire sursauter.  

Sneguroshka étira un large sourire, un sourire malin.  Une jambe passa par-dessus le banc, puis une autre et l’enfant de neige se laissa tomber sur les fesses, juste à côté du loup érudit.  Elle s’étira le coup pour voir ce qu’il lisait.  L’enfant n’avait jamais vraiment été intéressée par la lecture, trouvant celle-ci ennuyeuse, franchement.  Mais la curiosité l’emporta et, à demi sur le loup gris, elle chantonna :

« Que lis-tu ?  Oh, que cela me semble ennuyeux.  Regarde plutôt ce que j’ai trouvé ! »

Dans un Tada ! enjoué, elle montra le portefeuille à Misha.  Elle savait que lui, il ne lui enlèverait pas.  Sneguroshka l’ouvrit, compta les billets, la monnaie, se débarrassa des cartes d’affaires et inspecta les cartes de crédit.  

C'est étrange comme un simple livre peut vous couper du monde extérieur, vous isoler même au beau milieu d'une foule. Là assit sur son banc, complètement absorbé par Lonesome Traveler de Kerouac, Misha était devenu sourd au brouhaha ambiant de New York. C'est sans surprise qu'il bondit presque du banc lorsque une petite main vaint se poser sur son épaule. Une petite main dont il parvint à identifier la propriétaire sans peine.

Sneguroshka grimpa à côté de lui, s'allongeant presque sur le loup, curieuse comme toujours. Misha réprima un frisson, sa veste était légère et le froid qui émanait naturellement de la demoiselle de neige lui donna la chair de poule.

— Que lis-tu ?  Oh, que cela me semble ennuyeux.  Regarde plutôt ce que j’ai trouvé !

— Un livre pour les grands, lui répondit-il d'un ton taquin, avant de franchement rigoler en voyant ce que brandissait l'éternelle gamine. Elle n'avait décidement pas changée. Posant son livre sur les genoux, Il se pencha vers Sneguroshka pour contempler avec elle son nouveau trésor.

— Jolie prise !, s'exclama-t-il en lui ébouriffant les cheveux. Un adulte responsable l'aurait probablement disputé et amené au poste de police, mais Misha était certe adulte, mais sûrement pas responsable. Le loup compta la somme présente dans le porte-feuille et haussa les sourcils. Il y avait près de deux cents dollars là dedans. Quelle idée de se promener avec autant de billets !

Misha remarqua les très nombreuses cartes bancaires soigneusement rangées dans le porte-feuille et émit un petit sifflement impressionné.

— Je comprendrai jamais cette obsession des mundanes d'avoir autant de cartes. Une seule ne leur suffit pas ?

La demoiselle avait probablement dépouillé un homme d'affaire. Que les mundanes pouvaient être naïfs ! Ou alors Sneguroshka était simplement trop bonne comédienne pour qu'on puisse se méfier d'elle. Elle pouvait se montrer très attendrissante quand elle le voulait. S'ils savaient... Alors qu'il relevait la tête, Misha aperçut un bonhomme à l'air particulièrement énervé s'engager dans la rue, regardant partout autour de lui. Ouh...ça n'annonçait rien de bon.

— Devochka...ça serait pas le type que tu viens de voler par hasard ?

Elle grimaça.  « Un livre pour les grands, gna gna gna ! » On ne la lui faisait pas, celle-là !  Et son visage se déforma à nouveau, se crispa lorsqu’il passa une main chaude de loup dans ses longs cheveux.  Mais, néanmoins, elle eut un sourire fier au visage.  Et puis Misha était sympa, c’était l’un des seuls qui ne la blâmait pas de gagner sa vie de la sorte.  Avec lui, elle compta son butin, sachant qu’il ne lui volerait pas.  Et puis s’il lui volait, elle le courserait et ferait de sa vie un enfer !  Elle mettrait ses petites mains froides dans son visage et le lui gèlerait !  

« Je sais, c’est ridicule !  Il devait faire un boulot sous la table, pas très légal. »

Sneguroshka jeta, à côté d’elle sur le banc, les cartes d’identité qui ne l’intéressaient pas.  La jeune fille prit ensuite les billets et les glissa dans la poche de sa jupe.  Elle regarda le loup, écarquillant les yeux d’incompréhension.  Elle aussi ignorait le pourquoi du comment des penchants des humains pour l’accumulation.  Elle avait étudié la question, jadis :

« Les mundanes sont possessifs.  Je crois que leur but dans la vie, c’est d’avoir beaucoup de grosses choses. »

Une grosse maison, une grosse voiture, un gros salaire !  La Fable des neiges tria les cartes, ne gardant que celles qui lui seraient utiles, qui valaient vraiment la peine.  L’homme aurait tôt fait de les faire annuler et il était mal vue qu’une petite fille aille payer –au nom de papa ou maman, bien sûr !- avec une carte invalide.  

« …Quoi ?! »

Elle leva les yeux dans un bond et repéra sa victime.  Habituellement, lorsqu’elle travaillait, Sneguroshka ne croisait pas le beau Misha sur sa route.  Elle referma prestement le portemonnaie et coinça les cartes abandonnées sous Misha pour les dissimuler.  La petite fille bondit à nouveau par-dessus le banc et se cacha derrière le loup.  Elle le savait, inutile de tenter son coup, le pauvre homme dépouillé courait beaucoup plus vite qu’elle.  

« Cache-moi, Mishka !  Je ne veux pas que ça retombe sur matushka, s'il m'attrape. »

Matushka, mamulya, la Reine des Neiges.  Peu importe si elle se faisait tirer l’oreille, pourvu que cela ne retombait pas sur la grande dame de glace.  

Misha la regarda faire d'un œil amusé puis reprit innocemment son livre l'air de rien. Pour un loup, on lui demandait souvent son aide quand même. A croire qu'il s'était trompé de voie. Il aurait du être Prince Charmant, voilà. Il aurait probablement fait un meilleur boulot que le Charmant en question d'ailleurs, qui se contentait d'accumuler les divorces, d'après ce qu'il avait entendu dire.

Jetant un discret coup d'oeil par-dessus son livre, Misha remarqua que la victime de Sneguroshka venait dans sa direction. Le loup avait vu juste. Le costume de l'homme était impécable, visiblement taillé sur mesure. La demoiselle des neiges avait fait fort.

— Excusez-moi, vous n'auriez pas vu une gamine passer par ici ? A peu près haute comme ça, s'enquit-il en indiquant la taille de la fripponne avec sa main. Cheveux très clairs.

— Je regrette, non, je lisais, répliqua Misha en montrant son livre, tout en prenant garde de ne pas trop bouger . L'homme, frustré, le remercia malgré tout et s'éloigna d'un pas pressé, énervé. Le loup le suivit du regard jusqu'à le perdre de vue. Misha pencha la tête en arrière, un sourire malicieux aux lèvres.

— C'est bon, tu es sauvée, il est parti.

Résigné cependant au fait qu'il ne pourrait probablement finir de lire tranquillement aujourd'hui, surtout en présence d'une demoiselle comme Sneguroshka, Misha reposa son livre et sortit une cigarette à la place. Placée entre ses lèvres, il mit sa main en coupe pour l'allumer.

— Tu devrai faire plus attention devochka, fit-il en prenant une bouffée. Je ne serai pas toujours là pour te couvrir. Il lui fit signe de s'asseoir à côté de lui.
— Bon si tu me racontais plutôt ce que tu as fait depuis qu'on s'est quitté à Vladivostok ? La dernière fois on a pas pu discuter longtemps.

Ils s'étaient quittés juste avant que les choses s'enveniment pour de bon en Russie. Misha ne souhaitait pas assister à cette révolution sanglante qui était en marche à l'époque, déjà témoin d'assez d'horreurs pour toute une vie. Cela faisait près de soixante-dix ans que les deux compatriotes ne s'étaient pas vu. Pas très longtemps au final, sur l'échelle de la longue vie de Misha et Sneguroshka, mais assez pour avoir des choses à se raconter.

Sneguroshka bondit de derrière le banc, affichant un grand sourire suffisant sur son visage. Elle jeta tout de même un coup d’œil aux alentours, au cas où l’homme ne serait pas partit aussi loin que le prétendait le loup. Revenir sur ses pas était une vilaine habitude des mundanes, après tout. La fillette contourna le banc et vint se rasseoir, replaçant vaguement ses cheveux, les renvoyant derrière ses épaules. Elle replia ses jambes pour s’asseoir en tailleur sur le banc, faisant tout de même attention à sa robe.

« T’inquiète pas, Mishka. Les mundy sont incapables de résister à ma petite taille et mes grands yeux. »

Qui blâmerait une petite fille qui vole pour aider sa famille à survivre, hein ? Sneguroshka plissa le nez et agita rapidement ses petites mains devant elle pour écarter la fumée. Si elle avait un certain penchant pour l’alcool, la cigarette ne l’était pas. Remplir ses petits poumons d’air sales ne l’intéressait plus depuis la révolution industrielle, le temps des usines à charbon et leur pollution de l’air en masse.

« J’ai commencé à chercher ma mère. Je l’ai trouvée. Et depuis je suis coincée ici, je fais des économies pour… je ne sais pas trop en fait. »

Vivant avec la Reine des Neiges, Snegurka n’avait pas des tonnes de dépenses à faire. Franchement, elle s’était fait un petit bocal et y enfermait ses billets comme des trophées. Parfois elle envisageait d’en garder suffisamment pour se payer le retour en Russie, clandestinement, parfois elle se disait qu’un Glamours pour devenir adulte pourrait être pas mal. Et puis elle se rappelait qu’être adulte, c’était plein de responsabilité, un changement drastique qui demandait plus de réflexion.

« Et toi ? T’as erré, t'as trouvé ton âme soeur, t’as été faire la guerre ? »

Nombre de Fables s’étaient engagés pour servir la patrie. Misha n’était pas très patriote, selon les souvenir e l’enfant, mais peut-être que… parce que ça a l’air amusant aux premiers abords… Mais le top, ça devait être de se transformer en loup et de ne plus se soucier de rien. Ouais, la belle vie.

— J’ai commencé à chercher ma mère. Je l’ai trouvée. Et depuis je suis coincée ici, je fais des économies pour… je ne sais pas trop en fait.

— Tu arriveras bien à trouver une raison de dépenser tout cet argent. Je mets de côté aussi, tu me connais, je suis incapable de resté en place. Je compte me faire un roadtrip sur tout le continent.

A peine arrivé, le voilà qui pensait déjà à repartir. Dire qu'il avait la bougeotte était un euphémisme. Misha était curieux de l'Amérique. Le loup était essentiellement resté sur le vieux continent, puis était partit pour l'Asie. C'était donc la première fois qu'il posait le pieds au Nouveau Monde. Et qui disait Nouveau Monde, disait nouvelles choses à découvrir.

— Et toi ? T’as erré, t'as trouvé ton âme soeur, t’as été faire la guerre ?

— J'ai erré comme tu dis. Quand on s'est quitté, je suis parti pour la Chine. Je m'y suis pas éternisé, le pays était vraiment instable à cette époque. Ensuite je suis allé en Thaïlande, puis au Japon. Il fit une pause pour prendre une bouffée de sa cigarette déjà bien entamée. J'aurai aimé visité la Corée, mais les japonais ont fait des ravages là-bas jusqu'à la fin de la Seconde Guerre Mondiale et sincèrement j'avais vraiment pas envie d'assister à ça.

Misha était souvent désespéré de voir que les mundanes pouvaient se montrer aussi destructeurs que l'Adversaire. Ils étaient aussi doués pour détruire que pour créer. Un paradoxe à eux tout seuls.  

— Hmm, et en 1923...ou 24, je ne sais plus, j'ai débarqué sur le sol australien. A cette époque ça ressemblait vraiment à l'Angleterre. Avec un peu plus de soleil. J'y ai vraiment passé du bon temps. Misha lui adressa un petit clin d'oeil. Du bon temps ouais, c'était peu de le dire. Il n'avait jamais eu autant d'amants qu'à Melbourne. Finissant sa cigarette, il l'écrasa avec sa bottine et étala ses bras sur le dossier du banc. Ensuite je suis reparti en Europe. Quand la guerre a débuté, je me suis réfugié en Suisse. Donc pour répondre à ta question, non, je n'ai pas fait la guerre. Je ne me sentais pas concerné et...et voilà.

Le loup n'avait jamais raconté à Sneguroshka ce qui s'était passé avant qu'il emprunte le passage pour le monde des mundanes. Et il ne le ferait probablement jamais. On ne racontait pas les histoires de guerre.

— Après la guerre, j'ai voyagé entre la France, l'Italie et l'Espagne et puis je suis parti pour New York. J'ai mit mon temps à profit comme tu peux le constater.

Après avoir parlé autant, le Loups Gris commençait à avoir grand soif. Il quitta le banc, fit craquer quelques articulations en s'étirant.

— J'ai soif, pas toi ? Je t'offre un verre, pour fêter nos retrouvailles. Et tu me raconteras comment va la Reine des Neiges sur le chemin.

Un roadtrip sur le continent. Intéressant. Tout à fait lui, soixante-dix ans ne l’avaient pas changé, et heureusement ! Il avait fait l’Asie, après avoir erré en Russie. Sneguroshka, moins nomade que lui, n’y était pas allée. Trop chaud, trop… différents ? Une jeune blonde seule dans les contrées asiatiques, ce n’était pas des plus discrets. De plus, ils s’agissaient de pays où il faisait plus chaud que froid. La fillette de neige, ayant longuement vécu, était passée par-dessus les préjugés et la discrimination depuis des siècles, mais la chaleur, c’était trop. New York était supportable, ce l’était grâce à la présence de la Reine des Neiges.

Les mundanes et leurs guerres, rien de bien brillant, selon elle. Sneguroshka hocha la tête, regardant d’un air neutre le récit du loup. Ils s’entretuaient pour un oui, pour un non. Leur religion dictait d’aimer son prochain, mais ils détestaient leurs voisins. Où était le bon sens ? L’enfant ne posa pas davantage de question. Ce que faisait un homme ne regardait que lui et si, un jour, Misha décidait d’entrer dans les détails, elle l’écouterait, mais pour l’instant, elle se contenta de son itinéraire des dernières décennies.

« Oui, je le constate. Tu lis des choses pour adultes, tu sauves des petites filles. Des occupations très dignes ! »

À son tour, elle se leva. La jeune fille regarda autour d’elle, s’assurant que l’homme d’affaire n’était pas revenu prendre son du. Aucun signe de la victime. Sneguroshka leva la tête vers son compatriote et battit des paupières. Sa bouche s’ouvrit en un sourire, on la croirait prête à bondir mais, dans son élan, elle se contint.

« Quand tu dis un verre, tu ne parles pas d’un verre de lait, j’espère ? Parce que si c’est le cas, c’est loin d’être drôle ! »

Dans une attitude tout à fait mature qui trahissait son âge, elle lui tira la langue brièvement.

« Par contre, si c’est quoi que ce soit d’autre, je te suis ! »

— Oui, je le constate. Tu lis des choses pour adultes, tu sauves des petites filles. Des occupations très dignes !
— J'ai toujours des occupations très dignes. En fait je t'ai menti, je ne suis pas le Loup Gris, mais un chevalier servant, répliqua-t-il avec bonne humeur. Il en méritait le titre en tout cas. Il aurait du demander à Ivan de le nommé Boyar ou quelque chose dans le genre, tiens ! Bon, c'est vrai, il avait dévoré son cheval (succulent d'ailleurs), mais c'était beaucoup d'efforts pour rembourser la vie d'une monture qui n'aurait jamais emmené son cavalier sur la bonne route.

— Quand tu dis un verre, tu ne parles pas d’un verre de lait, j’espère ? Parce que si c’est le cas, c’est loin d’être drôle ! Par contre, si c’est quoi que ce soit d’autre, je te suis !

Misha laissa échappé un rire et ébouriffa affectueusement les cheveux de la demoiselle, une fois de plus. Il savait qu'elle détestait ça et c'était bien pour ça qu'il le faisait. La demoiselle n'avait décidément pas changé. Le loup se demandat bien d'où venait cette obsession pour l'alcool, mais ce n'était pas lui qui allait raisonné une fillette vieille de plusieurs siècles. Cela lui rappelait des bons souvenirs de Russie. Sneguroshka le suppliait régulièrement de lui acheter de l'alcool. Evidemment, quand on est vagabond, on est pas très riche et Misha finissait par lui acheter de la vodka de mauvaise qualité, absolument affreuse au goût, mais la gamine était tellement heureuse avec sa bouteille !

— Tu me penses si méchant au point de te payer un verre de lait ? Tu me blesses, devochka, mon cœur est meurtri !, déclama-t-il, portant une main à sa poitrine d'un geste théâtral. Si je te paye un coup, c'est un vrai. Il y a un petit bistrot pas très loin d'ici, suis-moi.

Le loup lui effleura l'épaule pour lui faire signe et ils quittèrent tout deux Central Park. Ils devaient former un duo bien étrange aux yeux des mundanes. Un homme à peine assez vieux pour être père, fringué comme un punk et une gamine blanche comme neige, littéralement, vêtue d'une simple robe d'été. Les deux compères traversèrent quelques rues et arrivièrent finalement à destination. Misha entra le premier.

— Installe-toi au fond là bas, dit-il en lui indiquant la table la plus éloignée, pendant que je vais commander.

Misha se rendit alors au bar et la rejoignit quelques minutes plus tard, avec une limonade pour la demoiselle, pour donner illusion et une bouteille. Le loup avait eu le droit un regard bizarre de la part du barman, parce que bon, c'est vrai qu'il était encore un peu tôt pour attaquer à la vodka. Le loup vida discrètement le verre de limonade dans la plante d'à côté et leur servit à chacun une belle quantité d'alcool.

— A nos retrouvailles, devochka !, s'exclama-t-il joyeusement et leva son verre.

C’était vrai, d’un côté, Misha était un peu comme Charmant, mais sans doute avec moins de maladie. Sneguroshka s’abstint de le dire, gardant cette jolie pensée pour elle-même. L’enfant, pour la forme, couina quand le loup mit sa main chaude dans ses cheveux, déplaçant les délicats flocons qui les formaient. Heureusement, froids et lisses, ils retombèrent à leur position initiale dès que la fillette les eut replacés.

Sneguroshka n’était pas alcoolique. À quelques reprises, durant sa longue existence, elle avait abusé. C’était vrai, et elle ne s’en cachait pas. Comme toute personne ayant trop prit d’alcool, elle avait été vomir dans une ruelle sombre et s’était réveillée elle-ne-savait-où, avec la gueule de bois. De nos jours, il était difficile pour une petite fille de se procurer de la vodka, de l’hydromel, du cognac. Elle devait lutter, insister, pour n’en avoir rien qu’un peu. C’était ce manque d’alcool facile qui lui donnait cette allure d’accroc à la boisson.

Mais avouons-le, si elle se retrouvait dans un Beer Store, elle calerait sûrement le contenu de l’endroit, et clamerait faire sa crise d’adolescence.

Mais Misha ne se jouait pas d’elle et cela lui arracha un grand sourire. Satisfait, comblé, enfantin. Jusqu’au petit bistro, elle marcha à côté de ce qui aurait pu être son frère, un cousin, un vilain délinquant qui en voulait à sa pureté. L’imagination des mundanes était impressionnante. Elle trainait près de lui, derrière, comme une petite puce un peu timide. Sneguroshka alla se terrer dans le fond du bistro, agitée, heureuse que quelqu’un comprenne enfin qu’elle n’était pas vraiment une petite fille de onze ans.

« Oh, oooh ! » Fit-elle en le voyant arriver.

Il servit la vodka et, dans sa petite main, elle attrapa son verre et le tendit.

« A nos retrouvailles, Mishka ! »

Elle voulut, comme toute bonne slave, caller d’un coup son verre mais, la quantité de boisson doublée de sa petite taille ne le lui permirent pas. Aller, deux gorgées. Sneguroshka termina son alcool et reposa le contenant. La fille de neige frotta son visage, puis son cou et son ventre. La vodka était forte, elle réchauffait. Parfois, elle craignait que ça la fasse fondre. Quelques goutent vinrent glisser sur sa peau blême. Ça valait la peine.

Et puis cette sensation de fondre, de se sentir partir, c’était exaltant.

Elle eut un sourire fin.

« …On devrait faire ça plus souvent. »

Misha but son verre cul sec et poussa un petit « Aaah » satisfait lorsqu'il sentit la vodka lui brûler agréablement la gorge. Cela faisait tellement longtemps qu'il ne s'était pas assit au tour d'un bon verre avec un compatriote et le Loup se surprit à penser qu'en fait, ça lui avait vraiment manqué. Misha observa tout de même avec un peu d'appréhension l'effet de l'alcool sur sa compagne. Plip, plop, le Loup suivit le trajet des quelques goutes d'eau qui ruisselaient du visage de Sneguroshka et qui virent s'écraser sur la table. Si la demoiselle venait à fondre, le journaliste aurait bien du mal à expliquer le phénomère. Et il se ferait tirer les oreilles par un certain Sheriff et une adjointe au maire, ma foi, fort peu concilliante.

— …On devrait faire ça plus souvent.
— Amen ! La prochaine fois je t'emmenerai dans un restaurant russe, pas très loin du Neuf de Pique. J'ai entendu dire qu'ils servaient de la vodka de très bonne qualité.

A ces mots, le loup les resservit à nouveau, avec une quantité plus raisonnable pour la demoiselle de neige, parce que malgré son grand âge, elle restait une petite fille et son métabolisme n'en supporterait pas plus. Misha n'avait pas tellement envie de ramener une Sneguroshka soule comme toute la Pologne à la Reine des Neiges. Le loup avait entendu de sacrées rumeurs sur la Dame de glace qu'il ne tenait pas vérifier.

— Alors dis moi, qu'est-ce que tu fais de beau en ce moment ? A part dépouiller les riches et les naïfs, évidemment.

Misha s'imaginait que Sneguroshka devait s'ennuyer parfois. En tant que petite fille elle ne devait pas pouvoir faire grand chose sans être chaperonnée. Le loup ne l'enviait pas du tout. Dans un élan de bonté, il se fit la promesse d'aller régulièrement lui tenir compagnie, histoire qu'elle puisse faire des choses de « grands » sans qu'on lui fasse de reproche. Les gens oubliaient souvent qu'elle n'était pas vraiment une enfant.

— Moi en ce moment je travaille pour un journal. J'ai un boulot stable !

Un fait extraordinaire pour Misha qui se contentait habituellement d'accumuler les petits boulots pour survivre. Il avait encore parfois du mal à le croire lui-même.

— J'ignore où ça va me mener mais pour l'instant ça me plait.

Sneguroshka mit ses mains froides sur son visage, pour redonner à celui-ci une température fraiche.  Les gouttes devinrent du givre qu’essuya rapidement la fille de neige et, écoutant Misha, elle battit des paupières.  Les alcools, en général, possédaient un gout odieux.  La vodka, elle, était comme un coup de poing dans la gorge d’un masochiste.  Elle réchauffait, ébranlait la corpulence délicate de l’enfant.  Sneguroshka, bien hautaine et un brin orgueilleuse, pouvait en prendre bien moins qu’elle le prétendait.  

« Je ne me souvenais pas qu’il y avait un restaurant russe là-bas.  J’espère qu’ils ont de bons plats, pas ces choses trucs américanisées. »

Les américains et leurs imitations.  Toutes les nationalités y passaient, pouvant admirer le massacre de leurs plats culturels.  Hélas, ainsi allait la vie et, parfois, même si le repas servit n’était pas digne, il était plutôt bon.  Une fois son verre à –raisonnablement- remplit, elle referma autour de lui ses petites mains blanches, créant de la buée sur les parois.  

Elle pencha la tête sur le côté.  Sneguroshka, sincèrement, ne faisait rien de marquant.  Dans le passé, il était plus facile d’agir en tant qu’enfant, de se trouver un petit boulot d’apprenti chez un artisan, par exemple.  Aujourd’hui… Elle était trop jeune pour travailler et s’était rendue maintes fois à l’école pour, finalement, laisser tomber.  La fillette connaissait toutes ses tables de multiplications depuis fort longtemps !  

« Franchement, Mishka, je m’ennuie. »

Elle appuya son menton sur le rebord de son verre, posant ses grands yeux enfantins sur le loup.  Sneguroshka devait connaitre toute la théorie du monde des adultes sans jamais ne la mettre en pratique.  Lui, il était devenu journaliste.  L’enfant leva ses sourcils, surprise.  Elle ouvrit la bouche, prête à lui demander quel genre d’article il écrivait mais, du coin de l’œil, elle aperçut une serveuse marcher dans leur direction, sûrement pour s’assurer que tout allait bien.  Ni d’une ni de deux, l’enfant de neige versa –jeta- le contenu de son verre dans celui de Misha jusqu’à ce que le rebord soit atteint.  Le reste, elle l’engloutit d’une traite… mais dans son élan, elle s’étouffa et se mit à toussoter.  Sneguroshka fit attention, bien élevée, elle porta une main à sa bouche et quelques secondes suffirent pour régler le problème.  

« Oh, tout va bien ici ?  Ne bois pas trop vite, mademoiselle. »

La petite leva son pouce, signe qu’elle se portait bien.  La serveuse, soucieuse, s’éclipsa en promettant de ramener un verre d’eau.  Snegurka frotta énergiquement en affichant une grimace peu gracieuse.  

« Ce que je m’apprêtais à dire ; tu écris quoi comme papier ?  Des trucs sur la culture ? Argh… j’en ai eu dans le nez… »  

Quand son verre d’eau avec glaçons arriva, Sneguroshka le but avec joie.  

Le loup la regarda faire un instant sans comprendre, puis se tourna pour suivre son regard. Oh. Cette serveuse choisissait bien son moment. Il eut juste le temps de se retourner pour voir Sneguroshka inhaler par le nez le reste de sa vodka. Il essaya de ne pas rire, vraiment ! Mais le visage de la gamine était tellement comique qu'un rire s'échappa de ses lèvres avant qu'il n'ait pu le contenir. Son seul geste fut de se cacher derrière son poing.

— Je savais que t'avais des soucis d'alcool Snee, mais de là à sniffer de la vodka..., ne put-il s'empêcher de dire, séchant quelques larmes dues à son hilarité. Oh elle savait que ce n'était pas méchant, Misha adorait simplement la taquiner.

— Pour répondre à ta question, oui j'écris sur la culture, en quelques sortes. J'écris sur ce qui se passe dans le monde, la géo-politique, tout ce qui touche aux affaire étrangères en sorte. Il se passe toujours quelques jours donc ce n'est pas ennuyant. Il fit une petite pause pour boire une gorgée de son verre, se penchant pour éviter de porter le verre trop rempli à ses lèvres, et ajouta, Ca parle souvent de conflits malheureusement. On a l'impression que les mundanes ne savent faire que ça.

Sentant des yeux dans son dos, Misha jeta un regard par dessus son épaule. C'était la serveuse de tout à l'heure qui fixait leur table. Prise en flagrant délit, elle piqua un fard et baissa brusquement la tête. Eh. Misha esquissa un sourire en coin.

— Je crois que la vodka c'est finit pour toi aujourd'hui. On nous surveille.

Le loup termina son verre d'un trait, et passa une main sur ses lèvres. La vodka diffusait une douce chaleur dans tout son corps et une délicieuse sensation de calme. Ouaip, cela faisait vraiment longtemps qu'il n'avait pas bu une bouteille aussi bonne. Misha tira le cendrier vers lui et s'alluma une nouvelle cigarette. On ne pouvait pas dire qu'il y était accro, c'était souvent juste une histoire de s'occuper les mains. Misha n'aimait pas rester sans rien faire.

— Hm, sinon, pour en revenir à notre conversation, j'ai aussi écrit quelques articles sur mes récents voyages. Si tu veux les lire, je te les apporterai. Tu habites dans Fabletown ou à l'extérieur ?

Elle n’était pas alcoolique, malgré les apparences. L’alcoolisme était pour ceux qui avaient quelque chose à noyer, qui cherchaient la réponse au fond de la bouteille. Sneguroshka se ne faisait pas partie de ces gens-là. Continuant de frotter son nez, espérant faire partir la douleur, elle leva de petits yeux pleins d’eau vers le loup. Il se moquait d’elle, quel chaperon indigne ! Hélas, ça ne serait pas la dernière fois, alors autant se contenter de dépêtrer le nez et d’ignorer la remarque.

« Et tu publies dans quoi ? National Geographic ? »

Parce que c’était le seul magasine qui collerait, selon elle. Surtout, c’était le seul qui lui était venu en tête. Pourtant, New York grouillait de petits reporters, de petits journalistes, il y avait tonne de journaux et de magasine, mais aucun qui intéressent réellement l’enfant. Elle préférait l’action à la lecture. Voir le problème en vrai plutôt que de le lire, confortable, dans son appartement de glace.

Sneguroshka, après que la douleur eut relativement passée dans son nez, vint pour attraper le verre du loup, pour en voler une gorgée mais la mention de la serveuse qui se la jouait espionne l’arrêta dans son geste. La fillette se laissa retomber contre son dossier, affalée sur sa chaise comme un chat beaucoup trop confortable. La dose d’alcool lui faisait un sacré bien. La rendant moins active, plus posée.

Enfant sous l’effet de la boisson, attention.

« Ouais… Je veux bien les lire. » Dit-elle, sachant qu’elle n’était pas une très grande lectrice mais, pour sûr, elle y jetterait un coup d’œil. « Je vis à Fabletown, avec tous ces culs serrés. »

Elle leva les yeux au ciel. Ils n’étaient pas tous des nobles, c’est vrai. Bigby, par exemple, était un crotté. Mais des personnalités comme Snow White qui n’aimaient pas s’amuser, Beauty qui voulait une vie de précieuse mais était pauvre…

« Tu peux venir quand tu veux, La reine des neiges n’est pas souvent là et… »

Elle prit un instant et regarda grossièrement, sans subtilité, l’homme qui se tenait en face d’elle de la tête aux pieds, puis hocha la tête.

« …Je suis certaine qu’elle aimerait te réchauffer, si tu vois ce que je veux dire. »

Un petit clin d’œil par ici. Sneguroshka était peut être une enfant encore innocente sur certains points, les amants de sa supposée mère ne passaient pas inaperçus. Et quelque chose lui disait que Misha n’aurait aucun problème à devenir l’un d’entre eux. L’attitude de la Reine ne la gênait pas. La fillette était ouverte d’esprit, vivait sa vie et laissait l’adulte vivre la sienne. Sans la juger.

Elle tendit les jambes dans l’allée du restaurant et se leva sur ses pieds, chancelantes. Satanée alcool, satané petite corps d’enfant. Sneguroshka s’appuya contre leur table avant de faire quelques pas. Ses yeux, plissés de sévérité, se plantèrent dans ceux du loup. Un index se leva et le pointa directement.

« Toi, ne ris pas. »

— Haha non je publie pour un journal indépendant. National Geographic ça serait la classe, cela dit.

M'enfin, Misha n'avait pas tellement d'ambition pour sa carrière. Tant qu'il avait de quoi payer son loyer et mettre un peu de côté, le Loup était capable de survivre avec pas grand chose. Au final, il ne possédait pas grand chose, à part ses vêtements et sa collection de livres. Pas besoin de bibelots, de choses, quand on avait une tête pleine à craquer de souvenirs.

— Je vis à Fabletown, avec tous ces culs serrés.

Misha haussa les sourcils, un peu surpris par le ton amer de la demoiselle. Cela dit elle comprenait où elle voulait en venir. Beaucoup des habitants de Fabletown  étaient d'anciens nobles déchus qui passaient plus souvent leur temps à se plaindre et chouiner à propos de leur richesse perdue que de se bouger pour arranger leur situation. Misha comptait bien secouer un peu tout ça.

— Tu peux venir quand tu veux, La reine des neiges n’est pas souvent là et… …Je suis certaine qu’elle aimerait te réchauffer, si tu vois ce que je veux dire.

Misha rit franchement, voyant très bien à quoi elle faisait allusion. Après tout la réputation de croqueuses d'homme de la reine des neiges n'était plus à refaire. Le loup était presque tenté, presque.

— Ca va aller, il fait plutôt chaud en ce moment, répliqua-t-il, un sourire au coin des lèvres. Hey où tu vas comme ça ?

Sneguroshka était toute chancelante sur ses petites jambes, déjà bien affectée par l'effet de la vodka. Elle lui demandait de ne pas rire, mais la tâche était plutôt compliquée. C'était dans ces moments là que Misha trouvait la demoiselle des neiges absolument adorable. Mais bon, il ne pouvait pas la laisser comme ça. Les clients du bar se poseraient trop de questions à la voir tituber sans raison. Trop tard, la serveuse d'un peu plus tôt trottina jusqu'à leur table.

— Est-ce que tout va bien ?

Misha lui décocha un sourire qui se voulait charmeur et fit un petit geste nonchalant de la main.

— Oh mais tout va à merveille merci. Ma petite sœur veut simplement aller aux toilettes, répondit-il sans ciller. Il avait tellement l'habitude d'embobiner les gens maintenant, que cela devenait très facile de sortir des petits mensonges pour détourner l'attention des curieux.

— Elle a l'air un peu rouge tout de même... Hm, les toilettes sont juste à côté là, dit-elle en indiquant une porte non loin de leur table. Misha la remercia d'un hochement de tête. Et...la serveuse resta plantée là. Le loup la fixa avec insistance, arquant un sourcil. Les joues de la jeune femme s'empourprèrent, balbutia quelque chose que Misha ne saisit pas et s'esquiva. Les humains étaient des créatures pleines de mystère pour le loup, même après plusieurs siècles d'existance parmi eux.

— Je dois vraiment avoir la tête d'un type louche pour qu'elle vienne comme ça à chaque fois. Ou alors c'est toi qui me rend louche !

L’alcool fort s’était répandu dans le corps de l’enfant. Elle ferma les yeux, pressa lourdement ses paupières puis les ouvrit. Dire qu’il y a cent, deux cents ans, elle savait supporter bien plus qu’un simple petit verre ! Les temps avaient fort changés… Sneguroshka se pencha vers le loup, le regardant avec intensité. À vrai dire, elle n’avait aucune idée de pourquoi elle venait de se lever. Sûrement pour tester la force de ses jambes sous l’influence de l’alcool. Jusqu’à présent, c’était plutôt positif.

La serveuse revint, cette femme était décidément trop soucieuse. Énergique, elle fit signe à celle-ci qu’elle allait bien mais, suivant le chemin de Misha, elle glissa une main vers sa vessie, serrant les jambes. Jouant les petites filles timides, elle se rapprocha de l’homme, attrapant sa main et jetant des regards farouches à la serveuse.

Lorsqu’elle celle-ci retourna à son poste, Sneguroshka leva la tête vers le loup, grand sourire pleine de dents. Quel petit menteur celui-là ! Normal qu’ils s’entendent si bien et qu’il ne la réprimande pas. L’enfant de neige se recula puis s’inclina vers l’avant.

« C’est parce que tu as des trous partout. C’est mal vus, les trous. »

Aussitôt, elle pointa l’un des trous du jeans de Misha avec son index, écrasant celui-ci contre sa peau chaude. Snegurka fit de même avec d’autres déchirures, puis, d’un bond, tourna les talons vers les salles de bain. Elle tira la porte plusieurs coups, rien à faire, elle ne voulait pas s’ouvrir. L’enfant soupira puis décida de pousser avec son épaule, allant se perdre dans les toilettes.

« Je suis de retour, Mishka ! » Fit-elle en sortant.

L’adulte alla payer, alors que la petite fille attendait patiemment près de lui. Ils sortirent sous l’œil suspicieux de la serveuse qui les avait débusqués. Ahh, les jeunes de nos jours, ça s’habillaient n’importe comment !

Sneguroshka leva les yeux au ciel, mit une main en visière devant ses yeux bleus.

« Oh… À la météo ils disaient que ça allait être nuageux… »

Mais, visiblement, les nuages faisaient grève et laissa leur place à un joli soleil. Journée parfaite pour sortir les petits mundanes ! L’enfant de neige, elle, craignait de fondre au milieu de tous ses humains. Déjà que l’alcool l’avait réchauffée… Prestement, elle tira la manche du journaliste et l’entraina avec elle, sans même lui demander son avis.

« Viens, il fait trop chaud dehors, on rentre à Fabletown ! »

Misha se laissa traîner par la demoiselle qui avait plus de force qu'on pourrait le croire. De toute manière, il devrait bientôt rentrer chez lui finir un nouvel article. Son rédacteur en chef s'était déjà plaint plusieurs fois que Misha avait tendance à ne pas respecter les délais, alors le loup s'était promis de faire un effort. Il aurait été quand même dommage de perdre son job alors qu'il venait d'être embauché. Quand on avait l'éternité devant soi, respecter des horaires et des dates étaient des choses bien futile.

— Comment ça se fait que la Reine des Neiges est souvent absente ? Qu'est-ce qu'elle fait de ses journées ?, ne put-il s'empêcher de demander, curieux de tout, comme toujours. C'est qu'il avait bien du mal à s'imaginer ce qu'une femme comme la Reine pouvait bien faire. Il ne la voyait vraiment pas travailler, elle qui avait probablement l'habitude d'être choyée par ses serviteurs...

— D'ailleurs elle est comment ? Tu ne m'as jamais vraiment parlé d'elle, ajouta-t-il quelques secondes plus tard. Il y avait beaucoup de rumeurs qui courraient à son sujet, des plus farfelues aux plus macabres, Misha avait donc une certaine difficulté à se faire une idée de cette femme.

Après de longues minutes de marche, les deux compatriotes approchaient à présent de Bullfinch Street. L'appartement de Misha se situait dans une rue perpendiculaire à celle-ci, hors de Fabletown. Non pas qu'il n'aimait pas le quartier mais le loup refusait de se couper du monde comme les autres. Malgré tout leurs défauts, Misha appréciait les mundanes et aimait se mêler à eux. Les autres Fables aurait mieux fait d'en faire autant, pour ceux dont l'apparence le permettait bien sûr. Ils avaient deux trois trucs à apprendre des simples humains.

Commençant lui même avoir chaud, Misha ôta sa veste. La journée était loin d'être caniculaire, mais la veste en cuir noir n'aidait pas à se sentir frais.

— Ca doit être un calvaire pour toi pendant l'été, ici. J'ai entendu dire qu'il pouvait faire très chaud à New York, à cause du nuage de pollution, dit-il alors que la pensée lui traversait l'esprit. La pauvre ne devait pas pouvoir sortir beaucoup durant cette période.

Sneguroshka adoucit sa prise sur le loup et, sans un regard, alors qu’elle le trainait dans une rue plus étroite, couverte d’ombre, elle haussa les épaules. Elle les haussa parce qu’elle n’en savait strictement rien, ou presque. Elle ne le lui demandait pas. Ses retours, cependant, ce faisaient, sur base régulière, avec un jeune homme qui, le matin venu, repartait aussitôt. La fille de neige ne communiquait pas beaucoup avec celle qu’elle croyait être sa mère. Elles vivaient ensemble, se côtoyaient mais sans plus.

Mais, au moment de la décrire, Sneguroshka se tourna vers Misha avait un sourire émerveillé, adoptant les traits d’une parfaite fillette, douce et innocente.

« Elle est la plus belle femme que j’ai vue ! Avec une voix de miel et des yeux brillants ! »

Ils arrivèrent près de Fabletown et l’enfant se cala dans un coin d’ombre, près d’un bâtiment. Ses épaules étaient perlées de goutte d’eau, résultat de sa constitution délicate. Elle attrapa les pans de sa robe et joua avec celle-ci, se créant un petit courant d’air pour se refroidir. En Russie, il lui suffisait de s’enfoncer vers l’est pour avoir un peu de fraicheur. À New York, avec la vie de la ville, la population condensée, la chaleur pouvait être insupportable. Parfois, la petite fille se contentait de regarder par la fenêtre, au frais dans son appartement. Ces jours-là, elle s’ennuyait. Dans le coin de sa chambre, elle avait pris l’habitude de jouer à la console, surmontant les plus difficiles jeux vidéo.

« Un calvaire, c’est un euphémisme ! J’ai déjà perdu mes doigts à cause d’une chaleur inattendue. J’ai du rentrer chez moi les mains dans les poches et attendre d’être au frais pour les reformer. »

Et elle ne mentionnait pas le nombre de fois ou elle mouillait ses chaussures ! Stupide soleil. Sneguroshka leva les yeux au ciel, étudia la trajectoire des quelques nuages qui allaient passer devant le soleil.

« Lorsque ce gros nuage-là fera de l’ombre, on pourrait se dépêcher à aller chez toi et tu pourrais me montrer tes récits de voyage ! »

Puis elle pointa ledit nuage avec son petit doigt qui, heureusement, était encore intact.

Sneguroshka était attendrissante lorsqu'elle parlait de sa mère. Ou de sa gardienne. A vrai dire, Misha ne savait pas trop, mais il doutait fortement que la Reine des neiges soit la génitrice de la fillette. Peu importe au final, elle pouvait bien choisir qui était sa mère. Misha eu cependant un peu de mal à ne pas rire en imaginant la pauvre Sneguroshka sans ses petits doigts. Etre constituée de neige avait de très nombreux inconvénients et le loup était très heureux d'être fait de chair et de sang.

Il se laissa entrainer vers un coin d'ombre et remarqua enfin que Sneguroshka commençait déjà à fondre. Il ne faisait pourtant pas bien chaud, du moins pour lui, mais la vodka avait probablement accéléré le processus. Ses cheveux dégoulinant laissaient des gouttelettes sur le bitume.

— Lorsque ce gros nuage-là fera de l’ombre, on pourrait se dépêcher à aller chez toi et tu pourrais me montrer tes récits de voyage !

Le loup s'appuya contre le mur du bâtiment et croisa les bras sur sa poitrine, les yeux rivés sur le ciel. Il y avait peu de vent aujourd'hui et les nuages défilaient lentement.

— Dans ce cas si tu veux venir chez moi, il va falloir faire demi-tour, devochka. Mon appartement est en-dehors de Fabletown.

Lorsque le gros nuage masqua enfin le soleil, Misha fit signe à la fillette de le suivre et ils traversèrent rapidement en sens inverse les ruelles qu'ils venaient de passer. Quelques minutes plus tard, le petit immeuble où habitait Misha fut enfin en vue. C'était un bâtiment qui datait un peu, construit en vieilles briques. Il n'était pas dénué de charme et les appartements étaient plutôt propres, et décents. En plus chacun étaient agrémentés d'un petit balcon ! Misha adorait s'y poser pour observer les gens passer dans la ruelle. Le loyer était un peu plus cher qu'à l'accoutumée pour Misha, qui avait l'habitude de prendre un logement le moins cher possible. Mais puisqu'il avait une paye régulière maintenant, autant en profiter.

Misha tapa son digicode, poussa la porte pour laisser passer sa compagne en première, puis lui indiqua qu'il fallait prendre les escaliers. Le loup détestait les ascenceurs...ou plutôt il s'en méfiait. Pas très fiables ces machines là ! De toute manière il n'en avait pas l'utilité, il habitait au deuxième. Une fois arrivés au bon étage, il déverrouilla la porte et laissa entrer Sneguroshka.

— Et voilà. Fais comme chez toi, installe-toi où tu veux. Tu veux quelque chose à boire pour te rafraichir ?

Son appartement n'avait rien de grandiose. Sa décoration était même plutôt minimaliste. Le loup n'était pas du genre à s'encombrer de meubles (ou plutôt il n'avait tout simplement pas l'habitude d'avoir assez d'argent pour décorer.). La cuisine ouverte donnait sur un salon qui n'était composé que d'un canapé, d'une table basse sur laquelle était posée un cendrier, plusieurs feuilles volantes et une tasse à café vide, une vieille télé qui avait vu de meilleur jour, et plusieurs étagères où de très nombreux livres s'entassaient. La seule chose qui décorait les murs étaient des photos de ses voyages. Certaines en couleur mais beaucoup en sépia. La pièce était agréablement éclairée par de grandes fenêtres ainsi que par une baie vitrée qui donnait sur le petit balcon.

Le loup quitta un instant la demoiselle pour se rendre dans sa chambre et ressortit quelques secondes plus tard avec une liasse d'articles qu'il tendit à Sneguroshka.

— Ca va te plaire, y'a pleins d'images, fit-il d'un ton gentiment moqueur.

HRP:

Sneguroshka était une petite fille excitée mais, lorsque l’on avait 400 ans et possédait un corps de neige, on apprenait la patience. Les mundanes avaient une courte existence et, pour la plus part, la vivait à la vitesse de l’éclaire. Elle avait à peine le temps de se lever le matin qu’il y avait eu trois nouveaux couples mariés, sept naissances et deux décès chez les humains qu’elle croisait régulièrement.

Elle acquiesça. Instinctivement elle s’était dirigée vers Fabletown, oubliant que Misha n’y vivait pas nécessairement. La fille de neige s’y était rendue d’abord pour rencontrer la Reine des Neiges, ensuite dans l’espoir qu’on oublierait son petit âge si elle désirait faire des choses un peu plus… adulte. Comme boire, par exemple. Mais aussi jouer, parier, voir des femmes nues. Hélas, peu importe où elle allait, c’était une fillette de dix ans que les autres voyaient en elle.

Elle traina rapidement derrière le loup, Sneguroshka et entra dans l’appartement. C’était plus gros que les blocs de Fabletown. L’enfant baissa les yeux vers ses mains moites, celles-ci ne menaçaient plus de fondre mais demeuraient chaudes. Ce fut lorsqu’elle appuya sur le bouton de l’ascenseur que Misha lui indiqua les escaliers. Oh… Elle n’était pas de ces mundanes qui peinaient à monter deux pairs d’escaliers, après tout ! Aussitôt la porte de l’appartement ouverte et le feu vert donné par l’homme, Sneguroshka obliqua vers la cuisine et ouvrit le congélateur.

Immobile pendant quelques secondes devant l’air frais qui tapait sur son visage infantile, la fillette prit un sac de petits poids gelés et le serra dans ses bras avant d’aller s’installer sur le divan. Dans le temps de le dire, le sac s’était retrouvé sur la tête blonde de la petite fille.

« Est-ce que tu as du Cola ? »

Elle sourit. Elle aimait le Coca-Cola, c’était bien, le Coca-Cola. Et pis les bulles ne la faisaient pas fondre, au moins ! Sneguroshka leva la tête et regarda au mur les photos de voyage du loup. Il était vraiment allé partout ! Ses petites mains attrapèrent la liasse d’articles qu’elle posa sur ses jambes et commença à les feuilleter rapidement.

« Une image vos mille mots, Mishka ! »

Ses jambes battaient dans le vide, devant le divan. Pour l’instant, elle ne prenait pas la peine de lire au complet, se contentant des titres plus évident, se concentrant surtout sur les images. Tout d’un coup, elle brandit son article et pointa l’une des images.

« C’est qui celui qui pose avec toi ? »

— Du coca ? Je dois avoir ça, ouai.

Après avoir fouillé dans son frigo, Misha revint vers Sneguroshka avec une cannette, qu'il posa sur sa table basse. Comme il l'avait imaginé, la demoiselle regardait avant tout les photographies. Ah ce n'était pas faute de ne pas avoir essayer de lui faire aimer la lecture, pourtant ! Souriant malgré tout, Misha se rendit dans sa cuisine pour se préparer un café. Il revint tasse fumante en main et s'assit sans légéreté aux côtés de la demoiselle des neiges.

— C’est qui celui qui pose avec toi ?

Le loup se pencha un peu pour voir de qui elle parlait et sourit lorsqu'il reconnu le jeune homme qui avait passé son bras autour des épaules de Misha pour cette photo. Avant de raconter son anecdocte, le loup but une gorgée de son café et grimaça légèrement en se brûlant la langue.

— Il s'appelle Cosimo. C'est un pizzaiolo très doué que j'ai rencontré quand j'ai été embauché en tant que serveur dans son restaurant. C'était il y a quoi...cinq ans de ça si je ne me trompe pas.

Evidemment, dès qu'il avait décidé de partir, Misha avait coupé les ponts. C'était plus simple comme ça, même si dire au revoir n'était pas toujours facile. Mais expliquer pourquoi il ne vieillissait pas aurait été un peu compliqué... Quelqu'un lui avait dit un jour que toutes les amitiés n'étaient pas faite pour durer, que parfois, certaines personnes n'étaient que de passage dans votre vie. Il fallait savoir dire adieu et accueillir la prochaine personne les bras ouverts. Misha ne pouvait être que d'accord avec cette philosophie de vie.

— Je sens la question te brûler les lèvres alors je vais prendre les devants : on était très amoureux. Cosimo était très, très passionné, poursuivit-t-il, petit sourire en coin accroché aux lèvres. Ses yeux se perdirent un peu dans le vague en repensant aux derniers moments passés avec le jeune italien. Ça ne s'est pas très bien finit malheureusement... ses parents nous ont découverts et ça serait un doux euphémisme que de dire qu'ils n'ont pas particulièrement apprécié le fait que leur fils soit gay.

Misha poussa un petit soupire et but une seconde gorgée de sa tasse. Les mundanes et leur hypocrisie religieuse ! Aimez votre prochain, mais haïssez tout ce qui n'est pas comme vous.

— Mais bon, j'en garde de très bons souvenirs. Il était vraiment cool. Et ses pizzas étaient divines.

Rien que d'y penser il avait faim.

L’écoutant parler, Sneguroshka avait baissé la photo et la regardait attentivement, décelant silencieusement les détails qui liaient le fameux Cosimo à Misha. Son sourire s’élargit quand il mentionna la passion de leur couple. La fillette de neige, ne pouvant pas tomber amoureuse sous peine de fondre pour de bon, avait toujours été curieuse des relations amoureuses des autres. En quatre cent ans, elle avait pu le voir, sous toutes ces formes. Certaines plus cocasses que d’autres, surtout depuis la soudaine révolution sexuelle des femmes. Avant, les amourettes demeuraient secrètes car très souvent hors mariage, la passion subsistait grâce à la peur de se faire prendre, l’adrénaline. De nos jours, ça s’embrassait et ça se touchait en public, montrant au monde entier la flamme qui brillait dans les cœurs.

Elle leva ses yeux bleus vers le loup, sourcils froncés d’inquiétude. Ça se voyait encore, des parents homophobes ? Sneguroshka, pourtant, aurait cru que depuis le temps, c’était accepté ! Ce fut donc pour cela qu’elle n’afficha aucune surprise devant les penchants de Misha. Après tout, pour jouer, lorsqu’elle trainait dans des parcs, il arrivait qu’elle se fasse une petite amie, une copine de jeu avec qui elle trainait quelques semaines avant de disparaitre. Elle n’était pas une très bonne influence et, de plus, comme elle ne grandissait pas, elle n’allait pas à l’école !

Son sourire revint rapidement, alors qu’elle posait de côté la photo du vieux couple.

« Je suis certaine qu’il était cool ! Tu n’aurais pas eu de sentiments pour quelqu’un qui ne le serait pas, si ? »

Misha, comme ça, avec sa dégaine de punk et son style de vie débauché, ne lui apparaissait pas comme un fan des relations abusives ou extrêmes. Le mot Liberté résonnait tout autour de lui. Sneguroshka prit une gorgée de coca, les bulles pétillantes la firent grimacer un peu. La fillette inclina la tête et fit tomber le sac de poids congelés sur ses mains et le posa sur ses genoux après les avoir dégagés des articles. Comme la fraicheur lui faisait du bien !

« Je suis contente que tu sois revenue, Mishka, à mon âge, New York est une ville plutôt ennuyeuse. Tu voudras bien qu’on passe du temps ensemble à l’avenir ? »

Un corps âgé de dix ans de plus et cette demande devenait tendancieuse. Pourtant, c’était sur un ton enfantin, dans un corps enfantin, que Sneguroshka avait fait sa demande. Disons que la jeune fille ne possédait pas une pelleté d’ami et, que l’un d’eux se pointe, lui faisait grandement plaisir. Elle agita ses petites mains, excitée.

« Oh ! On pourrait regarder des films d’horreur avec de la pizza et de l’hydrom… du coca ! »

— Hm, ça m'est arrivé de faire des mauvaises rencontres tu sais. Mais je suis pas du genre à m'éterniser dans ces cas-là, c'est vrai, répondit le loup en haussant les épaules. Il ne se pensait pas présomptueux en disant qu'il savait plutôt bien lire les gens d'ordinaire, mais certaines personnes étaient douées pour cacher leur jeu. Un peu comme lui-même au final.

— Je suis contente que tu sois revenue, Mishka, à mon âge, New York est une ville plutôt ennuyeuse. Tu voudras bien qu’on passe du temps ensemble à l’avenir ?

Misha sourit et dans un élan d'affection pour Sneguroshka, se pencha vers la jeune fille et embrassa sa tempe.

— La question ne se pose même pas devochka, bien sûr que je passerai du temps avec toi. 

La vérité était que la demoiselle des neiges étaient une des rares personnes qui comptaient pour le Loup Gris. Lorsqu'ils s'étaient séparés à Vladivostok, Misha était parti le cœur lourd et inquiet. Sneguroshka était certes pleine de ressources, mais elle restait une petite fille. Et le monde était loin d'être tendre pour la gente féminine. Il était heureux et soulagé de voir qu'elle n'était plus livrée à elle-même.

— Oh ! On pourrait regarder des films d’horreur avec de la pizza et de l’hydrom… du coca !

— Haha okay mais on pourra pas faire ça chez moi, j'ai pas de magnétoscope. Et ma télé marche une fois sur deux, répondit-il un peu dépité en lançant un regard mauvais en direction de la machine en question. C'était un peu de sa faute aussi mais il ne commettrait plus l'erreur d'acheter d'occasion. D'un trait, il finit en grimaçant son café qui était devenu tiède.

— En hiver on pourra profiter un peu plus de la ville, sans que tu te mettes à fondre , ajouta-t-il ensuite, un petit sourire aux lèvres. Puis Misha se leva et alla déposer sa tasse dans l'évier qui commençait à légèrement débordé de vaisselles sales. Uh...il n'avait pas prit le temps de nettoyer son appartement, depuis quelques jours. C'était une des choses qu'il n'appréciait pas beaucoup dans la vie d'un humain. Le ménage.

— En parlant de pizza, je sais pas pour toi mais moi j'ai super faim, tu veux quelque chose à grignoter ?

Un baiser, franc et spontané, fut posé sur les cheveux blonds de la fille des neiges. Elle sourit, visiblement heureuse du geste posé par le loup. Sneguroshka, heureuse d’avoir trouvé un partenaire de jeu, enjouée à l’idée de sortir avec un adulte cool et laxiste, répondit en articulant un discret « merci » bien russe.

Calant on coca, elle fronça les sourcils en direction de son nouveau super tuteur, contrariée. Pas de magnétoscope ? Pas de télé fonctionnelle ? Franchement, elle n’était pas étonnée, mais un peu déçue. Bien que la Reine des Neiges soit relativement permissive, Sneguroshka n’était pas autorisée à regarder des choses hors de son âge et, si elle possédait le matériel nécessaire pour leurs futures soirées, ils ne pourraient pas se rendre chez elle non plus. Posant sa bouteille, elle attrapa le porte-monnaie plus tôt volé et le balança sur Misha.

« Va t’équiper, dans ce cas ! »

De l’argent, elle en avait largement et n’en avait pas de besoin. Elle vivait aux frais de Lumi, aux frais de Fabletown et ne possédait pas l’âge légal pour se ruiner. La seule raison de ses économies était de s’acheter un Glamour. Cela, néanmoins, ne pressait pas et, mine de rien, malgré les restrictions et malgré les remarques, Sneguroshka vivait bien son existence d’éternelle enfant.

« En hiver, il y a des tas d’activité à faire ! Il y a vraiment très peu de neige, comparé à Saint-Petersburg ou Vladivostok, ça c’est plus au Canada. »

Le Canada, c’était comme la Russie. Rempli de neige. Outre ce détail, les deux pays étaient radicalement différents. Elle y était allée, quelques années plus tôt, pour y faire un tour. Charmants citoyens, pays ennuyeux.

Elle échappa un petit rire amusé.

« Si tu prends quelques chose je veux bien t’en prendre une bouchée, mais ce serait de la gourmandise. »

La neige ne connaissait pas la faim, après tout.

« J’aime bien mangé, mais il ne faut pas que ça soit trop chaud ! »

Elle tenait à le préciser, pour ne pas perdre une partie de son visage suite à un changement subit de température.

— T'es mignonne, mais reprend ton argent devocha, je suis pas pauvre à ce point, répliqua le loup en riant franchement, sans se vexer. Misha n'était pas quelqu'un de très dépensier mais si c'était pour faire plaisir à la demoiselle, il n'y avait pas d'hésitation à avoir. Il redéposa le porte-feuille dans les petites mains de Sneguroshka, se rendit en cuisine et sortit de quoi de confectionner des sandwichs.

— Garde-le pour te payer un glamour, ajouta-t-il avec un petit clin d'oeil, tandis qu'il découpait des tomates en rondelle. J'ai entendu dire que c'était assez cher, en plus ?

Chose que le loup trouvait très injuste d'ailleurs. Injuste pour les Fables qui devaient rester cloîtrés à la Ferme, entre autre. Misha en comprenait la nécessité, mais il était loin de cautionner ce système. S'ils voulaient une communauté plus juste, il aurait été logique de donner la même chance à tout le monde de pouvoir s'intégrer parmi les mundanes. Le Loup Gris avait eu la satisfaction d'apprendre que ces fameux Fables de la Ferme tentaient d'ailleurs de se faire entendre. Il ne pouvait qu'approuver.

— Tiens, d'ailleurs, qu'est-ce que t'irai faire en premier si tu obtenais enfin un corps adulte ?, demanda-t-il pour faire la conversation. Misha finit d'assembler les sandiwichs, les disposa dans une assiette, revint auprès de Sneguroshka, la servit et croqua à pleines dents dans le sien, affamé.

Sneguroshka leva un sourcil et remit dans sa poche l’argent qu’elle venait d’offrir à son ami compatriote. Oh, elle ne s’en formalisa pas et se doutait que Misha devait avoir sa petite somme d’argent à lui. Comment voyagerait-il autant, sinon ? Il y avait des limites à l’autostop, le squat et la viande de lièvre, non ?

Replaçant la pile d’article de Misha, s’assurant qu’aucune feuille ne dépassait –manie passagère- elle haussa les épaules et lui répondit, d’un ton détaché presque blasé :

« Trop cher. Il n’y a que les privilégiés qui y ont droit, c’est ridicule. On dirait de la politique mundane… »

Et l’enfant glacée croyait fortement que les Fables étaient au-dessus de ça. Des sorcières, il y en avait des tonnes, pourquoi ne s’apprenaient-elles pas le sort de glamour pour permettre aux contes animaux de vivre, eux aussi, correctement ? Elle grimaça.

« J’envisage de m’acheter un glamour à une sorcière hors du treizième. Le problème étant qu’une émotion peut me faire redevenir enfant, ou pire ! Me faire fondre d’un coup ! »

Et son visage se tortilla dans une moue grossière avant de rouler les yeux au ciel. Elle fixa Misha, en pleine réflexion. Que ferait-elle, franchement ? Trop de choses, beaucoup trop. Tout ce que son corps d’enfant lui empêchait de faire, et bien plus. Alcool, rave, shopping, voyage. N’importe quoi, comme une vraie femme ! Elle attrapa le sandwich, l’observa quelques secondes le temps de voir ce qu’il y avait dedans et y planta ses dents délicatement. Alors qu’elle mâchait, elle leva le pouce vers le loup gris. Bon cook, bro.

« La première chose que je ferais serait de… regarder ma poitrine, je crois. Et donner un nom à mes seins. »

Tout comme une personne changeant de sexe subitement regarderait dans son pantalon.

« Ensuite je dévaliserais un Beer Store. Enfin, pas trop parce que je serai pauvre après m’être achetée un glamour, mais tu vois le genre. Ensuite je viendrais te chercher, on ira m’acheter des vêtements dans une friperie puis on irait dans la forêt et on calerait les bouteilles d’hydromel. »

Ouais, bon plan. Très précis en soi, mais très distrayant également. Elle hocha la tête en souriant. Encore un peu d’économie et elle pourrait se payer son Glamour !

« Et toi, tu n’es pas humain à la base, si ? T’as fait quoi la première que tu t’es transformé ? »

Puis elle croqua à nouveau dans son sandwich.